Paul Arène, La cage dorée/Comme Ophélie ?
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modifierPuis les bas demeurant d'ailleurs en place, petit tas couleur de charbon, au milieu duquel deux jarretières rouge vif flamboyaient ainsi que deux braises, ses idées de nouveau se retournèrent, et soudain elle s'écria :
– « Linot, tu fis bien de mourir, puisque tu ne servais de rien sur terre. Ton destin ressemblait au mien, et ce n'est pas toujours fort drôle de vivre, comme nous vivons, inutiles dans une cage d'or.
Moi-même ne ferais-je pas mieux après tout de suivre l'exemple du linot ? On nous enterrerait tous les deux ensemble, le linot me montre la voie ! Tous deux, dans un cimetière à l'herbe drue où, comme au village natal, les chats se réchaufferaient au soleil sur de vieilles tombes et que personne de Paris ne connaîtrait. »
Nanette glissait peu à peu sur les pentes du pessimisme. Mais Nanette était excusable : le champagne a de ces effets.
Et, tout entière au sentiment de son inutilité irrémédiable et profonde, songeant que tant d'autres meilleures qu'elle, à la campagne et dans Paris, allaitaient des poupons, fabriquaient des fleurs en papier, cousaient des robes et gardaient les oies et les vaches, Nanette sincèrement, Nanette, en qui se réveillait la plébéienne, ressentit l'horreur d'elle-même et se résolut à mourir.
Mais où, comment ? Là était la sombre question. Après avoir quelque peu réfléchi, Nanette se décida pour la Seine.
– « Ce sera bientôt fait de passer sous les ponts, et doucement le fil de l'eau me portera ainsi jusque vers Mantes. Là, ma robe blanche s'accrochant aux branches basses d'un vieux saule, je m'arrêterai dans les remous, près du moulin où je fus servante. J'aurai le linot sur mon sein, les gars accourront du village, et le curé me trouvera. »
Il faut savoir, pour expliquer la poésie préalable de ce projet, que Nanette, lorsqu'elle exerçait l'honorable état de modèle, avait, chez des peintres divers, posé un certain nombre de morts d'Ophélie.
Et désormais, elle se voyait en Ophélie, très belle, un peu pâle, les yeux clos déjà mais souriante, au milieu de nénuphars fleuris et de lys d'eau, car elle oubliait la saison.
Cependant l'aurore était venue, la triste aurore de ces jours d'hiver, et Nanette, en deux tours de main rhabillée se trouva seule dans la rue.
– « Pourvu qu'il passe un fiacre, songeait-elle, par un frisquet pareil il serait vraiment dur d'aller se périr à pied ! »
Mais aucun fiacre de passait, au grand désespoir de Nanette.
Nanette vit des laitiers et des bouchers, des porteuses de pain trottant avec des miches rousses dans leurs sarraus bleus relevés, des vidangeurs vêtus de cuir pareils à des guerriers barbares, et des distributeurs d'imprimés qui, mystérieux et pressés, glissaient leurs feuilles sous les portes.
Enfin un fiacre s'amena, maraudeur éperdu, qui roulait sur le pavé gelé avec un grand bruit de ferraille.
– « Psitt !...
– Voilà, ma petite dame ! » répondit, entre deux jets de salive brune, le cocher philosophe qui chiquait.
Nanette allait monter, quoique l'ensemble, harmonique cruellement, et du fiacre et du cocher offusquât ses délicatesses néo-parisiennes, elle allait monter et donner l'adresse du Pont des Arts, classique pour les suicides, quand tout à coup, dans le silence de la rue brumeuse, un cri grelottant retentit.
– « Mouron pour les petits oiseaux ! … Fournissez-vous de mouron frais ! »
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