Théorie des groupes/Groupes dicycliques
Dans ce chapitre, nous allons définir les groupes dicycliques, dont le groupe des quaternions et les groupes quaternioniens généralisés constituent des cas particuliers importants.
Définition et table de multiplication des groupes dicycliques
modifierUn groupe est appelé un groupe dicyclique s'il est engendré par deux éléments a et b satisfaisant aux conditions suivantes :
- a est d'ordre fini pair, b2 = aord(a)/2, où ord(a) désigne l’ordre de a, et b–1ab = a–1.
Remarques. 1° Puisqu'un groupe cyclique d'ordre pair comprend un seul élément d'ordre 2, la condition b2 = aord(a)/2 revient à dire que b2 est égal à l'unique élément d'ordre 2 du sous-groupe engendré par a.
2° Selon notre définition, un groupe cyclique d'ordre 4 est un groupe dicyclique (prendre pour a l'unique élément d'ordre 2 et pour b un des deux éléments d'ordre 4). Nous donnerons plus loin des exemples moins triviaux. Certains auteurs, d'ailleurs, excluent les groupes cycliques d'ordre 4 des groupes dicycliques.
Soient G un groupe et a, b des éléments de G tels que a soit d'ordre fini pair, que b2 = aord(a)/2, où ord(a) désigne l’ordre de a, et que b–1ab = a–1. Alors b est d'ordre 4 et n'appartient pas à ⟨a⟩.
Puisque b2 = aord(a)/2 et que aord(a)/2 est d'ordre 2, b est d'ordre 4. Si tout d’abord l’ordre de a est > 2, la relation b–1ab = a–1 montre que b ne commute pas avec a et n'est donc pas une puissance de a. Si maintenant l’ordre de a est 2, alors b, dont l’ordre est égal à 4, ne peut pas être une puissance de a.
Dans le lemme qui suit, le point c) (qui peut être considéré comme fournissant une « table de multiplication » du groupe G) ne doit pas être mémorisé.
Soit n un nombre naturel non nul, soit G un groupe engendré par deux éléments a et b satisfaisant aux conditions suivantes :
- a est d'ordre 2n, b2 = an, b–1ab = a–1. (G est donc dicyclique.) Alors
a) G est d'ordre 4n ;
b) tout élément de G s'écrit d'une et une seule façon sous la forme
- ai b j
avec i, j entiers naturels, 0 ≤ i ≤ 2n – 1 et 0 ≤ j ≤ 1 ;
c) pour tous i, i', j, j' tels que 0 ≤ j, j' ≤ 1,
- ,
où r2n( ) désigne le reste par 2n et r2( ) le reste par 2.
Démontrons d’abord le point b). Puisque x ↦ b–1xb définit un automorphisme de G, l'hypothèse b–1ab = a–1 entraîne
- (1) b–1akb = a–k
pour tout entier rationnel k. En particulier, b normalise ⟨a⟩. Puisque a et b sont supposés engendrer G, il en résulte que
- G = ⟨a⟩⟨b⟩,
donc tout élément de G est de la forme
- ai bj
avec i et j entiers rationnels. D'après le lemme 1, b est d'ordre 4 donc, dans l’expression bj, j peut être remplacé par son reste par 4. Autrement dit, on peut prendre j tel que 0 ≤ j ≤ 3. Si j est égal à 2, alors (d'après l'hypothèse b2 = an) bj peut être remplacé par an et si j est égal à 3, bj peut être remplacé par an b. Cela montre que tout élément de G est de la forme
- ai bj
avec i entier rationnel et j ∈ {0, 1}. Puisque a est supposé d'ordre 2n, i peut être remplacé par son reste par 2n, ce qui prouve que tout élément de G peut s'écrire
- ai b j
avec i, j entiers naturels, 0 ≤ i ≤ 2n – 1 et 0 ≤ j ≤ 1.
Pour prouver le point b) de l'énoncé, il reste à prouver que cette écriture est unique. Soient i, i', j, j' des nombres naturels tels que 0 ≤ i, i' ≤ 2n – 1, 0 ≤ j, j' ≤ 1 et
- ai b j = ai' b j'.
Il s'agit de prouver que
- (thèse 2) i = i' et j = j'.
Nous avons
- (3) ai–i' = bj–j'.
Or, du fait que b2 appartient à ⟨a⟩ (hypothèse b2 = an) et que b n'appartient pas à ⟨a⟩ (lemme 2), on tire facilement que, k étant un entier rationnel, bk appartient à ⟨a⟩ si et seulement si k est pair. Donc, dans la relation (2), j – j' est pair. Puisque j et j' appartiennent tous deux à {0, 1}, on doit avoir j = j'. Dès lors, (2) donne ai–i' = 1. Comme a est d'ordre 2n, i – i' est donc divisible par 2n. Puisque i et i' appartiennent tous deux à {0, 1, ... , 2n – 1}, on doit avoir i = i', ce qui achève de prouver notre thèse (2). Comme nous l'avons vu, le point b) de l'énoncé en résulte. Le point a) découle clairement du point b).
Démontrons le point c). De la relation (1), on tire que pour tout entier rationnel k,
- .
Donc pour tout j' dans {0, 1} et tous i, i',
- , si bien que
pour tous j, j' dans {0, 1} et tous i, i',
- (4) .
Puisque j et j' sont tous deux dans {0, 1}, nous avons
- ,
d'où
d'où, puisque ,
- .
La relation (4) peut donc s'écrire
- (4) ,
ce qui démontre le point c) de l'énoncé.
Soit G un groupe. Les deux conditions suivantes sont équivalentes :
- 1° G est dicyclique ;
- 2° G est d'ordre fini divisible par 4 et, cet ordre étant désigné par 4n, G comprend un élément a d'ordre 2n et un élément b tels que b2 = an et b–1ab = a–1.
Des éléments a, b tels qu'en 2° engendrent G.
Prouvons que 1° entraîne 2°. Si G est dicyclique, il est engendré par un élément a d'ordre fini pair 2r et un élément b tel que b2 = ar et b–1ab = a–1. D'après le lemme 2, point a), G est d'ordre 4r. Donc, si l'on désigne l’ordre de G par 4n, r est égal à n, donc a et b sont tels que dans l'énoncé.
Réciproquement, supposons 2° et prouvons 1°. D'après le lemme 2, point a), ⟨a, b⟩ est d'ordre 4n et est donc égal à G, donc G est dicyclique. Ceci prouve que 2° entraîne 1°. Nous avons aussi prouvé que dans l'hypothèse 2°, ⟨a, b⟩ = G, ce qui est la seconde assertion de l'énoncé.
Soit n un nombre naturel non nul, soient G et H deux groupes dicycliques d'ordre 4n. Soient a un élément d'ordre 2n de G et b un élément de G tel que b2 = an et b–1ab = a–1 ; soient α un élément d'ordre 2n de H et β un élément de H tel que β2 = αn et β–1αβ = α–1. (D'après le lemme 3, de tels éléments existent, a et b engendrent G, α et β engendrent H.)
Il existe un et un seul isomorphisme de G sur H qui applique a sur α et b sur β.
Si l'on désigne par fα,β cet isomorphisme (dépendant de a et b), si l'on désigne par E l’ensemble des couples (α, β) d'éléments de H tels que α soit d'ordre 2n, que β2 = αn et β–1αβ = α–1, alors (α, β) ↦ fα,β définit une bijection de E sur l’ensemble des isomorphismes de G sur H.
D'après le lemme 2, point b), il existe une (et une seule) bijection f de G sur H telle que, pour tout i dans {0, 1, ... , 2n – 1} et tout j dans {0, 1},
- f(ai bj) = αi βj.
D'après la « table de multiplication » fournie par le lemme 2, point c), f est un isomorphisme de G sur H. Par définition de f, nous avons f(a) = α et f(b) = β. D'après le lemme 3, a et b engendrent G, donc f est le seul isomorphisme (et même le seul homomorphisme) qui applique a sur α et b sur β. Comme dans l'énoncé, désignons cet isomorphisme par fα,β (a et b étant sous-entendus dans la notation).
Si g est un isomorphisme de G sur H, alors g(a) est d'ordre 2n, g(b)2 = g(a)n et g(b)–1 g(a) g(b) = g(a)–1 donc, dans les notations de l'énoncé, le couple (g(a), g(b)) appartient à E et g = fg(a), g(b). Ceci prouve que (α, β) ↦ fα,β définit une surjection de E sur l’ensemble des isomorphismes de G sur H.
Puisque fα,β(a) = α et fα,β(b) = β, cette surjection est une injection et donc une bijection (de bijection réciproque g ↦ (g(a), g(b))).
Cela résulte immédiatement du lemme 4 (compte tenu que d’après le lemme 3, tout groupe dicyclique est d'ordre fini divisible par 4).
Exemples de construction des groupes dicycliques
modifierJusqu'ici, nous avons trouvé des conditions nécessaires auxquelles doivent satisfaire les groupes dicycliques, mais nous n'avons pas prouvé qu’il en existe (à part le cas banal des groupes cycliques d'ordre 4).
Première démonstration. Cette démonstration est suggérée par la « table de multiplication » fournie par le lemme 2, point c). Munissons le produit cartésien ℤ/2nℤ × ℤ/2ℤ de la loi de composition interne ∗ définie (correctement, comme le lecteur s'en assurera) par
- (0) (x + 2nℤ, y + 2ℤ) * (x' + 2nℤ, y' + 2ℤ) = (x + (–1)yx'+ nyy' + 2nℤ, y + y' + 2ℤ)
pour tous entiers rationnels x, y, x' et y'.
Prouvons que cette loi est une loi de groupe.
Prouvons d’abord que la loi ∗ est associative. Il s'agit de prouver que pour tous entiers rationnels x, x', x'', y, y' et y'',
- ( (x + 2nℤ, y + 2ℤ) ∗ (x' + 2nℤ, y' + 2ℤ) ) ∗ (x'' + 2nℤ, y'' + 2ℤ) = (x + 2nℤ, y + 2ℤ) ∗ ( (x' + 2nℤ, y' + 2ℤ) ∗ (x'' + 2nℤ, y'' + 2ℤ) ).
Or le calcul montre que les deux membres sont égaux à
- (x + (–1)y x' + (–1)y+y' x'' + n (yy' + yy'' + y'y'') + 2nℤ, y + y' + y'' + 2ℤ).
(Dans le calcul du second membre, noter que (–1)y ny'y'' + 2nℤ = ny'y'' + 2nℤ, car –n est congru à n modulo 2n.)
Donc la loi ∗ est bien associative. Elle admet pour élément neutre (0, 0), où l'on désigne par 0 les neutres respectifs de ℤ/2nℤ et de ℤ/2ℤ, et l'on vérifie facilement que
- (1) (x, y) admet pour symétrique l'élément (ny – (–1)y x + 2nℤ, –y + 2ℤ) = (ny – (–1)y x + 2nℤ, y + 2ℤ),
ce qui achève de prouver que * est une loi de groupe. Soit G ce groupe, que nous noterons multiplicativement. Son neutre 1 est donc (0, 0).
Prouvons que G est un groupe dicyclique.
Posons a = (1 + 2nℤ, 0). On prouve par récurrence sur k que pour tout nombre naturel k,
- (2) ak = (k + 2nℤ, 0),
donc
- (3) a est d'ordre 2n.
Posons b = (0, 1 + 2ℤ). Alors, d’après (1), b–1 = (n + 2nℤ, 1 + 2ℤ), d'où b–1ab = (–1 + 2nℤ, 0). D'après (1), le second membre de cette égalité est l'inverse de (1 + 2nℤ, 0), autrement dit l'inverse de a, donc
- (4) b–1ab = a–1.
De plus, b2 = (0, 1 + 2ℤ) (0, 1 + 2ℤ) = (n + 2nℤ, 0), donc, d’après (2),
- (5) b2 = an.
Tout élément du groupe G que nous avons construit est de la forme (k + 2nℤ, 0) ou de la forme (k + 2nℤ, 1 + 2ℤ) avec k naturel, donc est ou bien de la forme ak = (k + 2nℤ, 0) (voir (2) ) ou bien de la forme ak b = (k + 2nℤ, 0) (0, 1 + 2ℤ) = (k + 2nℤ, 1 + 2ℤ), donc a et b engendrent G, ce qui, avec (3), (4) et (5), prouve que le groupe G est un groupe dicyclique d'ordre 4n.
Remarque sur cette démonstration. Le fait que * soit une loi de groupe est un cas particulier de la situation suivante. Soit K un groupe commutatif, noté additivement, soit Q un groupe, noté multiplicativement, soit θ : x ↦ θx un homomorphisme de Q dans Aut(K), soit f une application de Q × Q dans K telle que, pour tous éléments x, y et z de Q, on ait
- 1° θx(f(y, z)) – f(xy, z) + f(x, yz) – f(x, y) = 0 ;
- 2° f(x, 0) = f(0, x) = 0 ;
alors K × Q, muni de la loi de composition interne ∗ :
- (k, x) ∗ (k', x') = (k + θx(k') + f(x, x'), xx'),
est un groupe.
En prenant pour θ l'homomorphisme x ↦ θx de ℤ/2ℤ dans Aut(ℤ/2nℤ) défini par θx(y) = (–1)xy et en prenant pour f l’application (bien définie) (x + 2ℤ, x' + 2ℤ) ↦ nxx' de ℤ/2ℤ × ℤ/2ℤ dans ℤ/2nℤ, on obtient la loi ∗ définie précédemment.
Une application f satisfaisant aux conditions 1° et 2° est appelée un système de facteurs relatif à θ.
Seconde démonstration. Soit α une racine primitive (2n)-ième de 1, c'est-à-dire un élément d'ordre 2n du groupe multiplicatif des nombres complexes non nuls. Posons
A = et B = .
Ces deux matrices appartiennent au groupe multiplicatif des matrices inversibles 2 × 2 à coefficients complexes. D'après les règles du calcul des matrices diagonales, A est d'ordre 2n et An est la matrice scalaire –1. Le calcul montre que la matrice B2 est, elle aussi, égale à la matrice scalaire –1, ce qui montre que B2 = An et aussi que
- ,
d'où
et d’après les règles du calcul des matrices diagonales, cette dernière matrice est égale à A–1. Le groupe multiplicatif engendré par A et B est donc un groupe dicyclique et d’après le lemme 2, point a), il est d'ordre 4n.
Troisième démonstration. (On va procéder de façon « heuristique », c'est-à-dire en montrant comment on peut être mis sur la voie de la démonstration. La démonstration proprement dite tient tout entière dans l'avant-dernière phrase.) On a vu dans les exercices de la série Produit semi-direct que si G est un groupe, si G = AB, où A est un sous-groupe normal de G et B un sous-groupe de G (on ne suppose pas que A ⋂ B = 1, autrement dit que A est produit semi-direct de A par B), si θ : B → Aut(A) : y ↦ θy : x ↦ y x y–1 désigne l'homomorphisme de B dans Aut(A) correspondant à l'action de B sur A par conjugaison, si A ⋊θ B désigne le produit semi-direct externe de A par B relativement à θ, alors
- (6) G est isomorphe au quotient de A ⋊θ B par un sous-groupe normal N de A ⋊θ B possédant les propriétés suivantes :
- 1° N ⋂ (A × {1}) = 1 ;
- 2° N ⋂ ({1} × B) = 1 ;
- 3° N est isomorphe à A ⋂ B.
Supposons qu'un groupe G soit un groupe dicyclique d'ordre 4n. D'après lemme 3, G est engendré par un élément a d'ordre 2n et un élément b tels que
- (7) b2 = an et b–1 a b = a–1.
Si l'on pose A = ⟨a⟩ et B = ⟨b⟩ , A est un sous-groupe normal de G isomorphe à ℤ/2nℤ, B est un sous-groupe de G isomorphe à ℤ/4ℤ, G = AB, A ⋂ B est d'ordre 2 et l'action de B sur A par conjugaison est l'unique homomorphisme θ : y ↦ θy de B dans Aut(A) tel que θb soit l'automorphisme x ↦ x–1 de A. L'action de B sur A correspondant à θ est équivalente (ou quasi équivalente dans une autre terminologie) à l'action (correctement définie)
- (r + 4ℤ, s + 2nℤ) ↦ (–1)rs + 2nℤ
de ℤ/4ℤ sur ℤ/2nℤ. Désignons par ℤ/2nℤ ⋊ ℤ/4ℤ le produit semi-direct externe correspondant à cette dernière opération. En revoyant la façon dont on a prouvé que des produits semi-directs externes correspondant à des actions (quasi) équivalentes sont isomorphes, le lecteur s'assurera (en tenant compte de (6)) que
- G est isomorphe au quotient de 2nℤ ⋊ ℤ/4ℤ par un sous-groupe normal N d'ordre 2 de 2nℤ ⋊ ℤ/4ℤ tel que
- 4° N ⋂ (ℤ/2nℤ × {0}) = {(0, 0)} ;
- 5° N ⋂ ({0} × ℤ/4ℤ) = {(0, 0)}.
(Nous désignerons indifféremment par 0 ou par 0 + 2nℤ le neutre 2nℤ de ℤ/2nℤ. Même chose pour le neutre de ℤ/4ℤ.)
Comme un sous-groupe normal d'ordre 2 est toujours central, N doit être central dans ℤ/2nℤ ⋊ ℤ/4ℤ. On vérifiera que les seuls éléments centraux d'ordre 2 de ℤ/2nℤ ⋊ ℤ/4ℤ sont (n + 2nℤ, 0 + 4ℤ), (0 + 2nℤ, 2 + 4ℤ) et (n + 2nℤ, 2 + 4ℤ). Donc le seul sous-groupe central N d'ordre 2 de ℤ/2nℤ ⋊ ℤ/4ℤ satisfaisant aux conditions 4° et 5° est {(0, 0), (n + 2nℤ, 2 + 4ℤ)}, autrement dit ⟨(n + 2nℤ, 2 + 4ℤ)⟩. Donc si un groupe G d'ordre 4n est dicyclique, il doit être isomorphe à (ℤ/2nℤ ⋊ ℤ/4ℤ)/⟨(n + 2nℤ, 2 + 4ℤ)⟩. Le lecteur vérifiera que (ℤ/2nℤ ⋊ ℤ/4ℤ)/⟨(n + 2nℤ, 2 + 4ℤ)⟩ est bien dicyclique (et, plus précisément, que si l'on désigne par a la classe de (1 + 2nℤ, 0) modulo (n + 2nℤ, 2 + 4ℤ) et par b la classe de (0, 1 + 4ℤ), la condition (7) est satisfaite, ce qui prouve que G est dicyclique). On a donc prouvé qu’il existe un groupe dicyclique d'ordre 4n ; vu l'unicité du sous-groupe N, on a même de nouveau prouvé que tous les groupes dicycliques d'ordre 4n sont isomorphes.
Puisque deux groupes dicycliques du même ordre sont isomorphes, on dit volontiers « le groupe dicyclique d'ordre 4n ». On le note DCn, Dicn ou encore Q4n. Toutefois, la troisième notation est souvent réservée au cas où l’ordre du groupe dicyclique est une puissance de 2, cas dans lequel on adopte la définition suivante :
Un groupe dicyclique dont l’ordre est une puissance de 2 est appelé un groupe quaternionien généralisé. Le groupe dicyclique d'ordre 8 est appelé le groupe des quaternions, ou encore le groupe quaternionien.
Pour désigner un groupe dicyclique d'ordre 4n, on adoptera ici la notation DCn, mais on préférera la notation Q4n si ce groupe est quaternionien généralisé. (Certains auteurs notent Qm le groupe quaternionien généralisé d'ordre 2m, mais on ne les suivra pas ici.)
Quelques traits de la structure des groupes dicycliques
modifierSoit n un nombre naturel non nul.
1° Le groupe dicyclique DCn d'ordre 4n contient un sous-groupe cyclique C d'ordre 2n tel que tout élément de DCn – C soit d'ordre 4.
2° Si n est impair, le groupe dicyclique DCn d'ordre 4n comprend exactement 2n éléments d'ordre 4. Si n est pair, il en comprend exactement 2n + 2.
D'après le lemme 3, DCn est engendré par un élément a d'ordre 2n et par un élément b tels que b2 = an et b–1ab = a–1. D'après le lemme 2, point b), tout élément de DCn se met d'une et une seule façon sous la forme x = ai bj avec i ∈ {0, 1, ... , 2n – 1} et j ∈ {0, 1}. Donc tout élément x de DCn – ⟨a⟩ est de la forme x = ai b avec i ∈ {0, 1, ... , 2n - 1}. La table de multiplication fournie par le lemme 2, point c), donne
- x2 = an
donc (puisque an est d'ordre 2) tout élément x de DCn – ⟨a⟩ est d'ordre 4, ce qui démontre la première assertion de l'énoncé.
Nous avons donc exactement 2n éléments d'ordre 4 en dehors de ⟨a⟩ . Si n est impair, il n'y a pas d'élément d'ordre 4 dans le groupe cyclique ⟨a⟩ (d'ordre 2n) ; si n est pair, il y en a exactement 2, d'où l'énoncé.
Soit n un nombre naturel ≥ 2. Le groupe dicyclique DCn d'ordre 4n est un groupe non abélien qui n’est pas isomorphe au groupe diédral D4n de même ordre.
D'après le lemme 7, DCn contient bien plus d'éléments d'ordre 4 que D4n donc ne lui est pas isomorphe. D'autre part, puisque DCn contient deux éléments a et b tels que b–1ab = a–1 ≠ a, il n'est pas abélien.
Soit n un nombre naturel non nul.
- Le groupe dicyclique DCn d'ordre 4n contient un seul sous-groupe d'ordre 2 (autrement dit comprend un seul élément d'ordre 2).
- Si n ≥ 2, ce sous-groupe est le centre de DCn.
D'après le lemme 7, les éléments de DCn d'ordre 2 sont les éléments d'ordre 2 d'un certain sous-groupe cyclique d'ordre 2n. Il y en a donc un et un seul, ce qui prouve la première assertion de l'énoncé.
Démontrons la seconde. Comme dans la preuve du lemme 7, DCn est engendré par un élément a d'ordre 2n et par un élément b tels que b2 = an et b–1ab = a–1, et tout élément de DCn se met d'une et une seule façon sous la forme x = ai bj avec i ∈ {0, 1, ... , 2n – 1} et j ∈ {0, 1}.
Puisque a et b engendrent DCn, x appartient au centre de DCn si et seulement s'il commute avec a et avec b.
Dire que x commute avec b revient à dire que ak commute avec b. On pourrait exprimer cela à l'aide de la « table de multiplication », mais on peut dire aussi que la relation b–1ab = a–1 entraîne b–1akb = a–k, de sorte que ak commute avec b si et seulement si ak = a–k, ce qui a lieu si et seulement si k = 0 ou k = n.
D'autre part, dire que x commute avec a revient à dire que bj commute avec a, ce qui est garanti lorsque j = 0 et équivaut, lorsque j = 1, à a–1 = a. Comme n est supposé ≥ 2, ceci n'a pas lieu. Ainsi, les seuls éléments du centre de DCn sont a0 = 1 et an, ce qui achève de prouver l'énoncé.
Remarque. Du fait qu'un groupe dicyclique n'a qu'un élément d'ordre 2, on déduit facilement qu'un groupe dicyclique dont l'ordre est une puissance de 2, autrement dit un groupe quaternionien généralisé, n'a pas de décomposition non triviale en produit semi-direct, c'est-à-dire que les seules façons d'exprimer un tel groupe G comme produit semi-direct sont G⋊1 et 1⋊G.
Soit n un nombre naturel non nul, distinct de 2. Le groupe dicyclique DCn d'ordre 4n contient un seul sous-groupe cyclique d'ordre 2n. (On verra que ce n’est pas vrai si n = 2.)
D'après le lemme 7, nous pouvons choisir un sous-groupe cyclique ⟨a⟩ d'ordre 2n de DCn tel que tout élément de DCn – ⟨a⟩ soit d'ordre 4. Soit x un élément d'ordre 2n de DCn. Il s'agit de prouver que ⟨x⟩ = ⟨a⟩. Puisqu'on suppose n distinct de 2, x est d'ordre distinct de 4 et, d'après ce qui précède, appartient donc à ⟨a⟩. Puisque x et a sont tout deux d'ordre 2n, on a donc ⟨x⟩ = ⟨a⟩, ce qui, comme noté, démontre l'énoncé.
- Le groupe Q8 est formé d'un élément d'ordre 1, d'un élément d'ordre 2 et de six éléments d'ordre 4.
- Tous ses sous-groupes sont normaux.
- Il a exactement 3 sous-groupes d'ordre 4 et ces sous-groupes sont tous trois cycliques.
D'après le lemme 7, Q8 est constitué d'un sous-groupe cyclique d'ordre 4 et de quatre éléments supplémentaires d'ordre 4, ce qui démontre la première assertion de l'énoncé.
Q8 et son sous-groupe trivial sont évidemment des sous-groupes normaux de Q8. Soit H un autre sous-groupe de Q8. Puisque Q8 est d'ordre 8, H est d'ordre 2 ou 4. S'il est d'ordre 4, il est d'indice 2 dans Q8 et donc normal. S'il est d'ordre 2, alors, d’après le théorème 9, il est seul de son ordre parmi les sous-groupes de Q8 et est le centre de Q8, deux raisons de conclure qu’il est caractéristique et donc normal dans Q8.
Puisque Q8 ne comprend qu'un élément d'ordre 2, il ne contient pas de sous-groupe de Klein, donc ses sous-groupes d'ordre 4 sont cycliques. On a vu dans les exercices de la série Automorphismes d'un groupe cyclique que si G est un groupe et n un nombre naturel non nul, le nombre des éléments d'ordre n de G est égal à φ(n) fois le nombre des sous-groupes cycliques d'ordre n de G, où la fonction φ est l'indicateur d'Euler. En faisant n = 4 (d'où φ(n) = 2), on trouve que les sous-groupes cycliques d'ordre 4 de G (autrement dit, d’après ce qui précède, ses sous-groupes d'ordre 4) sont en nombre 3.
Remarque. Les groupes dont tous les sous-groupes sont normaux, appelés groupes de Dedekind, sont classifiés[1].
Automorphismes d'un groupe dicyclique
modifierSoit n un nombre naturel non nul, soient α, β des éléments du groupe dicyclique DCn d'ordre 4n. On suppose que α est d'ordre 2n. Pour que α et β satisfassent aux conditions 1° et 2° suivantes :
- 1° β2 = αn ;
- 2° β–1αβ = α–1,
il faut et il suffit que :
- 3° β ∉ ⟨α⟩.
Le cas n = 1 étant immédiat, supposons n ≥ 2. Puisque l'ordre de α est alors différent de 2, α–1 ≠ α donc si β–1αβ = α–1 alors β ∉ ⟨α⟩ (l'hypothèse 1° devient inutile).
Montrons que réciproquement, si β ∉ ⟨α⟩ (3°) alors β–1αβ = α–1 (2°) et de plus, β2 = αn (1°). Pour prouver (1°), il nous suffira, d'après le théorème 9, de montrer que β2 est d'ordre 2, c'est-à-dire que β est d'ordre 4.
Supposons d’abord n distinct de 2.
D'après le lemme 10, ⟨α⟩ est alors le seul sous-groupe cyclique d'ordre 2n de DCn.
Par conséquent, d'après le lemme 2, point b), pour tous x ∈ ⟨α⟩ et y ∈ DCn – ⟨α⟩, on a y–1xy = x–1. (En effet, avec les notations de ce lemme, .) En particulier :
- si β ∉ ⟨α⟩ alors β–1αβ = α–1.
De plus, si β ∉ ⟨α⟩ alors d'après le lemme 7, β est d'ordre 4.
Donc notre thèse est démontrée dans le cas où n est distinct de 2.
Supposons maintenant n égal à 2.
L'élément α est alors d'ordre 4. D'après l'hypothèse 3° et le théorème 11, β est donc aussi d'ordre 4.
D'autre part, ⟨α⟩ est d'indice 2 dans DCn = Q8 et est donc normal dans Q8. (On a d'ailleurs vu au théorème 11 que tous les sous-groupes de Q8 sont normaux.) Donc β–1αβ est égal à l'un des deux générateurs de ⟨α⟩ : α ou α–1. De plus, puisque ⟨α⟩ est d'indice 2 dans Q8 et que β est supposé ne pas appartenir à ⟨α⟩, α et β engendrent Q8. D'après le corollaire 8, Q8 n’est pas abélien donc, puisque α et β engendrent Q8, β ne commute pas avec α et la seule possibilité restante est :
- 2° β–1αβ = α–1.
Donc notre thèse est encore vraie.
D'après le lemme 10, DCn a un unique sous-groupe cyclique d'ordre 2n ; notons-le C. Il suffit de montrer que Aut(DCn) est isomorphe à Hol(C), ou encore : au produit semi-direct C ⋊ Aut C.
Soit E l'ensemble des couples (α, β) d'éléments de DCn tels que α engendre C et β ∉ C, et soit (a, b) l'un de ces couples. D'après les lemmes 12 et 4, l'application f ↦ (f(a), f(b)) est une bijection de Aut(DCn) sur E. D'autre part, l'application C ⋊ Aut C → E, (g, φ) ↦ (φ(a), bg) est bijective. Enfin, la bijection composée F : C ⋊ Aut C → Aut(DCn) est un homomorphisme, c'est-à-dire que pour tous (g, φ) et (h, ψ) dans C ⋊ Aut C,
- F(g, φ) ∘ F(h, ψ) = F(gφ(h), φ ∘ ψ).
En effet :
- [F(g, φ) ∘ F(h, ψ)](a) = F(g, φ)(ψ(a)) = φ(ψ(a)) = F(gφ(h), φ ∘ ψ)(a) ;
- [F(g, φ) ∘ F(h, ψ)](b) = F(g, φ)(bh) = F(g, φ)(b)F(g, φ)(h) = bgφ(h) = F(gφ(h), φ ∘ ψ)(b).
Remarque. Ce théorème ne peut pas être étendu au cas où n = 2, comme le montre le théorème suivant.
D'après le théorème 11, les éléments d'ordre 4 de Q8 sont en nombre 6, donc les couples (α, β) d'éléments de Q8 tels que α soit d'ordre 4 et que β n'appartienne pas à ⟨α⟩ sont en nombre 24. D'après le lemme 12, cela revient à dire que les couples (α, β) d'éléments de Q8 tels que α soit d'ordre 2n, que β2 = αn et que β–1 α β = α–1, sont en nombre 24. D'après le lemme 4, il en résulte que Aut(Q8) est d'ordre 24.
On a vu dans les exercices de la série Groupes alternés que si un groupe G d'ordre 24 a un sous-groupe normal d'ordre 4 qui est son propre centralisateur dans G, G est isomorphe à S4. Il suffit donc de prouver que
- (thèse 1) le groupe Int(Q8) des automorphismes intérieurs de Q8 est un sous-groupe normal d'ordre 4 de Aut(Q8) et est son propre centralisateur dans Aut(Q8).
On a vu au chapitre Conjugaison, centralisateur, normalisateur que, pour tout groupe G, Int(G) est un sous-groupe normal de Aut(G) et est isomorphe à G/Z(G). D'après le théorème 7, Z(Q8) est d'ordre 2, donc Int(Q8) est d'ordre 4. Donc pour prouver notre thèse (1), il suffit de prouver que
- (thèse 2) Int(Q8) est son propre centralisateur dans Aut(Q8).
Puisque Int(Q8) est d'ordre 4, il est abélien et donc contenu dans son centralisateur. Tout revient donc à prouver que
- (thèse 3) le centralisateur de Int(Q8) dans Aut(Q8) est d'ordre au plus 4.
Soit donc f un automorphisme de Q8 centralisant Int(Q8).
Soient a un élément d'ordre 4 de Q8 et b un élément de Q8 – ⟨a⟩. Rappelons (lemme 12) qu'alors,
- (4) b–1 a b = a–1.
Puisque f est supposé centraliser Int(Q8), il commute avec l'homomorphisme intérieur γb : x ↦ b-1 x b de Q8. On a donc
- f(γb(a)) = γb(f(a)),
- f(b–1ab) = b–1 f(a) b.
D'après (4), ceci peut s'écrire
- f(a–1) = b–1 f(a) b
- (5) f(a)–1 = b–1 f(a) b.
Puisque a, et donc aussi f(a), est d'ordre 4, on en déduit (cf. début de la preuve du lemme 12) : b ∉ ⟨f(a)⟩. Ceci étant vrai pour tout élément b de Q8 – ⟨a⟩, on doit avoir f(a) ∈ ⟨a⟩ donc (puisque f(a) est d'ordre 4)
- (6) f(a) ∈ {a, a–1}, pour tout élément a d'ordre 4 de Q8.
Choisissons dans Q8 un élément x d'ordre 4 et un élément y de Q8 – ⟨x⟩. (On a vu qu'il existait 24 tels couples (x, y).) Alors y est d'ordre 4 (cf. théorème 11),
- (7) ⟨x, y⟩ = Q8
et, d’après (6), f(x) ∈ {x, x–1} et f(y) ∈ {y, y–1}.
Il y a donc au plus 4 automorphismes f de Q8 centralisant Int(Q8).
Ceci prouve la thèse (3), d'où l'énoncé.
Notes et références
modifier- ↑ Voir (en) D. J. S. Robinson, A Course in the Theory of Groups, Springer, 1996, 2e éd. [lire en ligne], p. 143-145.