Théorie des groupes/Groupes linéaires
Dans ce chapitre, nous allons définir les groupes linéaires, qui relèvent de l'algèbre linéaire, et démontrer certaines de leurs propriétés qui nous serviront dans le chapitre Théorèmes de Sylow. Toutefois, nous verrons que les théorèmes de Sylow peuvent également se démontrer sans utiliser l'algèbre linéaire, de sorte que le lecteur peut omettre le présent chapitre en première lecture. Nous retrouverons les groupes linéaires au chapitre Simplicité des groupes linéaires spéciaux projectifs.
Conventions et rappels sur les matrices
modifierOn définira une matrice à r lignes et à s colonnes (r et s étant des nombres naturels) comme une famille (« double ») indexée par le produit cartésien . Si est une telle matrice, les sont appelés les coefficients de la matrice; plus précisément, on dit que est le coefficient de la i-ième ligne et de la j-ième colonne.
Dans ce qui précède, les mots « ligne » et « colonne » ont un sens purement conventionnel. L'usage de ces mots s'explique par le fait qu'on représente couramment une matrice à r « lignes » et s « colonnes » par un tableau rectangulaire à r lignes et s colonnes, cette fois au sens courant des mots « ligne » et « colonne ». Les lignes de ce tableau étant numérotées de haut en bas et les colonnes de gauche à droite, on met le coefficient de la matrice à l'intersection de la i-ième ligne et de la j-ièmes colonne.
Au lieu de « matrice à r lignes et s colonnes », nous dirons parfois « matrice ».
Si M et N sont deux matrices dont les coefficients appartiennent à un même anneau A, on définit la somme M + N des matrices M et N (relativement à l'anneau A) de la façon suivante : si , si , alors
où la somme est prise dans l'anneau A.
Si M est une matrice à r lignes et s colonnes à coefficients dans l'anneau A, si N est une matrice à s lignes et t colonnes à coefficients dans le même anneau A (N a donc autant de lignes que M de colonnes), nous définirons le produit MN des matrices M et N (relativement à l'anneau A) de la façon suivante : si , si si , alors
- ,
où le calcul de se faisant dans l'anneau A.
Les seules matrices que nous rencontrerons dans ce chapitre seront des matrices à coefficients dans des corps commutatifs. (Nous éviterons les corps non commutatifs pour ne pas devoir distinguer entre espaces vectoriels à gauche et espaces vectoriels à droite.)
Soit F un corps commutatif, soient V, W des F-espaces vectoriels de dimensions finies s et r respectivement, soit une base numérotée de V (on entendra par là une famille basique de V indexée par l'ensemble {1, ... , s}), soit une base numérotée de W; soit f un F-homomorphisme de V dans W; nous définirons la matrice de f dans les bases et comme la matrice , où désigne la i-ième composante de dans la base .
Si f et g sont deux F-homomorphismes de V dans W, si M (resp. N) désigne la matrice de f (resp. g) dans les bases et , alors la matrice de f + g dans ces bases est M + N.
Soit F un corps commutatif, soient , , des F-espaces vectoriels de dimensions finies, soient respectivement , , des bases numérotées de , et . Si f est un F-homomorphisme de dans , si g est un F-homomorphisme de dans , si M désigne la matrice de f dans les bases et , si N désigne la matrice de g dans les bases et , alors la matrice de dans les bases et est NM.
Les auteurs qui, contrairement au choix fait dans le présent cours, préfèrent les opérations de groupes à droite aux opérations à gauche, composent habituellement les applications de gauche à droite alors que nous les composons de droite à gauche. Autrement dit, ces auteurs écrivent là où nous écrivons . Ces auteurs définissent en général la matrice d'un F-homomorphisme de V dans W dans une base de V et une base de W comme la matrice , où désigne la j-ième composante de dans la base . Cette matrice est la transposée de celle que nous avons définie comme la matrice de f dans les bases de V et de W. Avec la définition donnée par les auteurs en question, on peut énoncer :
« Soit F un corps commutatif, soient V, W, U des F-espaces vectoriels de dimensions finies, soit une base numérotée de V, soit une base numérotée de W, soit une base numérotée de U. Si f est un F-homomorphisme de V dans W, si g est un F-homomorphisme de W dans U, si M désigne la matrice de f dans les bases et , si N désigne la matrice de g dans les bases et , alors la matrice de dans les bases et est MN. »
C'est en raison de l'existence de ces conventions différentes qu'on a fait la présente mise au point.
Groupes linéaires
modifierSoit V un espace vectoriel. L'ensemble des automorphismes de V, muni de la loi , est un groupe, qu'on appelle le groupe linéaire relatif à V, ou encore le groupe linéaire de V, et qu'on note GL(V).
Le groupe GL(V) est donc un sous-groupe du groupe symétrique (groupe des permutations de V, ou, plus exactement, de l'ensemble sous-jacent de V).
Soit K un corps commutatif, soit un nombre naturel. L'ensemble des matrices carrées inversibles de taille à coefficients dans K, muni de la loi , est un groupe, qu'on note GL(n, K) et qu'on appelle parfois le groupe linéaire GL(n, K).
Soit K un corps commutatif, soient V et W deux K-espaces vectorels isomorphes. Alors GL(V) et GL(W) sont isomorphes.
Choisissons un isomorphisme de V sur W. Pour tout automorphisme de V, est un automorphisme de W et on vérifie facilement que définit un isomorphisme de GL(V) sur GL(W).
Soit K un corps commutatif, soit V un K-espace vectorel de dimension finie . Alors GL(V) est isomorphe à GL(n, K). Plus précisément, si B est une base de V, l’application qui fait correspondre à un automorphisme de V sa matrice dans la base B est un isomorphisme de GL(V) sur GL(n, K).
Démonstration : c'est un résultat classique d'algèbre linéaire.
Soient et des corps commutatifs isomorphes. Pour tout nombre naturel , le groupe et le groupe sont isomorphes.
Choisissons un isomorphisme du corps sur le corps Pour toute matrice M appartenant à , c'est-à-dire pour toute matrice inversible à coefficients dans , désignons (abusivement) par la matrice obtenue en remplaçant dans M chaque coefficient par son image par . On vérifie facilement que appartient à et que définit un isomorphisme de sur
Soit V un espace vectoriel non nul de dimension finie n sur un corps commutatif fini K à q éléments. Alors
On sait (algèbre linéaire) que les éléments de GL(V) (automorphismes de V) sont en correspondance biunivoque avec les n-uplets de vecteurs linéairement indépendants de Kn. Pour construire un tel n-uplet, nous avons qn - 1 choix possibles pour le premier vecteur (tous les vecteurs non nuls). À un choix du premier vecteur correspondent qn - q choix possibles pour le second vecteur (tous les vecteurs n'appartenant pas au sous-espace de dimension 1 de Kn engendré par le premier vecteur choisi). Il y a donc (qn - 1) (qn - q) choix possibles pour les deux premiers vecteurs. À un choix des deux premiers vecteurs correspondent qn - q2 choix possibles pour le troisième vecteur (tous les vecteurs n'appartenant pas au sous-espace de dimension 2 de Kn engendré par les deux premiers vecteurs choisis). En poursuivant, on obtient la valeur de donnée dans l'énoncé.
Notation numérique GL(n, q)
modifierOn démontre en algèbre que
- 1° tout corps fini est commutatif;
- 2° deux corps finis de même cardinal sont toujours isomorphes;
- 3° tout corps fini a pour cardinal un nombre de la forme , avec premier et ;
- 4° pour tout nombre premier et tout nombre naturel , il existe des corps de cardinal (tous isomorphes d'après le point 2°).
De cela et de l'énoncé 3, il résulte que si est un nombre de la forme , où est un nombre premier et un nombre naturel , si est un nombre naturel, tous les groupes linéaires GL(n, K), où K parcourt les corps de cardinal , sont isomorphes.
Donc on peut définir, à isomorphisme près, un groupe , dont on se contente de savoir qu'il est isomorphe à GL(n, K) pour tout corps K de cardinal . D'après l'énoncé 2, le groupe est isomorphe à GL(V) pour n'importe quel espace vectoriel V de dimension sur n'importe quel corps de cardinal .
L'énoncé 4 s'écrit alors