Théorie des groupes/Exercices/Groupes libres, premiers éléments
Problème 1 (très facile)
modifierSoient G un groupe, X une base de G, x et y deux différents éléments de X. Prouver que x et y ne commutent pas.
Il revient au même de prouver que si a et b sont deux éléments de X qui commutent, alors a = b.
De ab = ba résulte que ((a, 1), (b, 1)) et ((b, 1), (a, 1)) sont des mots signés sur X qui ont la même valeur dans G. D'après l'énoncé 7 du chapitre théorique, ces deux mots signés sont donc égaux, donc a = b.
Remarque. L'énoncé de ce problème montre que tout groupe libre de rang est non abélien. On a noté dans le chapitre théorique que les groupes libres de rang 0 sont les groupes triviaux et que les groupes libres de rang 1 sont les groupes isomorphes à , donc si un groupe abélien n'est ni trivial ni isomorphe à , ce n'est pas un groupe libre. (Attention : comme signalé dans le chapitre théorique, l'expression « groupe abélien libre » ne signifie pas « groupe libre abélien ».) Le problème 1 fournit donc des exemples de groupes n'admettant pas de bases.
Problème 2 (Centre d'un groupe libre)
modifiera) Soit G un groupe libre de rang . Prouver que le centre de G est trivial (c'est-à-dire réduit à l'élément neutre).
On se ramène facilement à prouver que si X est un ensemble de cardinal , aucun élément de F(X) (groupe libre construit sur X) autre que l'élément neutre n'est central dans F(X).
Soit
un élément de F(X), avec . Il s'agit de prouver que w n'est pas central dans F(X).
Puisque est supposé , nous pouvons choisir dans X un élément y distinct de . Alors, le point désignant la loi de groupe dans F(X),
- (1)
et
- (2)
La première lettre signée du membre droit de (1) est et celle du membre droit de (2) est . Puisque y a été choisi distinct de , le membre droit de (1) et celui de (2) n'ont donc pas la même première lettre signée et sont donc distincts. Il en est donc de même des membres gauches, ce qui montre que w ne commute pas avec et n'est donc pas central dans F(X), ce qu'il fallait démontrer.
b) Soient X un ensemble, y un élément de X et w un élément de F(X) commutant avec ((y, 1)) dans le groupe F(X). Prouver que w est une puissance (d'exposant entier rationnel) de ((y, 1)) dans le groupe F(X).
Si w est le mot signé vide, w est la puissance d'exposant 0 de ((y, 1)), donc l'énoncé est vrai dans ce cas. Supposons maintenant w de longueur n > 0. Alors
et, puisque n > 0, nous pouvons parler de et de . Puisque w est supposé commuter avec ((y, 1)), nous avons, le point désignant la loi de groupe de F(X),
- (3)
Si (y, 1) est distinct de le membre gauche de (3) est égal à
et est donc de longueur n + 1; le membre droit de (3) est donc lui aussi de longueur n + 1, donc (y, 1) est distinct de donc (3) peut s'écrire
En égalant successivement les premières composantes des deux membres, puis leurs secondes composantes etc., nous trouvons que w est la n-ième puissance de ((y, 1)) dans F(X).
Si maintenant (y, 1) est égal à le membre gauche de (3) est égal à
et est donc de longueur n-1; le membre droit de (3) est donc lui aussi de longueur n - 1, donc (y, 1) est égal à donc (3) peut s'écrire
On en tire de proche en proche que sont tous égaux à D'après notre hypothèse il en résulte que w est la (-n)-ième puissance de ((y, 1)) dans F(X).
Remarques.
- Plus généralement, si deux éléments v et w d'un groupe libre F commutent entre eux, ils sont puissances (à exposants entiers relatifs) d'un même élément de F. On le démontrera dans les exercices du chapitre sur le théorème de Nielsen-Schreier.
- La question a) peut se déduire de la b).
Problème 3 (très facile)
modifierSoit X une partie libre d'un groupe G. (On ne suppose pas que le groupe G est libre.) Prouver que X ne comprend pas l'élément neutre de G.
Désignons par e l'élément neutre de G. Si e appartenait à X :
- serait un mot signé réduit non vide sur X dont la valeur dans G serait le neutre e de G, ce qui contredirait le fait que X est une partie libre de G ;
- ou encore : {e} serait une partie libre de G donc engendrerait un sous-groupe infini…
Problème 4 (Tout groupe libre est sans torsion)
modifierUn groupe sans torsion est par définition un groupe dont le seul élément d'ordre fini est l'élément neutre. On va prouver que tout groupe libre est un groupe sans torsion.
Soit X un ensemble, soit un mot réduit sur X (avec ).
On dit[1] que est cycliquement réduit si n = 0 ou que les lettres signées et ne sont pas inverses l'une de l'autre. En d'autres termes, on dit que est cycliquement réduit si n = 0 ou (n > 0 et ( ou )).
Il est clair que si w n'est pas cycliquement réduit, long(w) > 1.
On vérifie facilement que w est cycliquement réduit si et seulement si (où désigne le carré de w dans le groupe F(X) ).
a) Prouver que si w est un élément cycliquement réduit de X, alors, pour tout nombre naturel r,
(où désigne la r-ième puissance de w dans le groupe F(X) ).
C'est banal si w est le mot vide, donc on peut supposer que w n'est pas le mot vide. Alors w est de la forme
avec , donc on peut parler de la première et de la dernière lettre signée de w.
La thèse est banale pour r = 0, donc il suffit de la démontrer pour , et il suffit pour cela de démontrer par récurrence sur r l'énoncé plus fort que voici : pour tout nombre naturel , est un mot réduit de longueur qui commence par la lettre signée et qui finit par la lettre signée ce dont le lecteur se convaincra sans peine.
b) Prouver que tout élément de F(X) est conjugué dans le groupe F(X) à un élément cycliquement réduit.
Soit un mot signé sur X. Il s'agit de prouver que w est conjugué dans F(X) à un élément cycliquement réduit.
Considérons le plus grand nombre naturel tel que et que, pour tout i dans {1, ... , s},
(Donc, pour tout i dans {1, ... , s}, la i-ième lettre signée de w à compter par le début est l'inverse de la i-ième lettre signée de w à compter par la fin.)
Si nous désignons par v le mot réduit
et par w' le mot réduit
nous avons, dans le groupe F(X),
donc est conjugué à dans F(X). Par maximalité de s, est cycliquement réduit, donc nous avons prouvé, comme annoncé, que w est conjugué dans F(X) à un élément cycliquement réduit.
c) Prouver que tout groupe libre est un groupe sans torsion.
Puisque tout groupe libre est isomorphe à un groupe F(X), il suffit de prouver que pour tout ensemble X, F(X) est un groupe sans torsion.
Soit w un mot réduit non vide sur X; il s'agit de prouver que w n'est pas d'ordre fini.
D'après le point b), est conjugué à un élément cycliquement réduit. Puisque et sont conjugués, ils ont le même ordre, donc il suffit de prouver que n'est pas d'ordre fini.
Pour tout nombre naturel nous avons, d'après le point a),
d'où
d'où
ce qui prouve que est d'ordre infini, comme annoncé.
Remarque. Des raisonnements semblables permettent de prouver l'énoncé suivant : si F est un groupe libre, si a et b sont des éléments de F, s'il existe un nombre naturel tel que an = bn, alors a = b. En faisant b = 1, on obtient l'énoncé c) comme cas particulier.
Problème 5 (Dérivé du groupe F(X))
modifierSoient X un ensemble et F(X) le groupe libre construit sur X. Pour tout élément de F(X) et pour tout élément x de X, posons
(On pourrait appeler l'exposant total de x dans w.)
Pour un élément donné w de F(X), les éléments x de X tels que sont en nombre fini; en effet, un tel élément x doit être égal à un des apparaissant dans l'écriture de w.
(En revanche, évidemment, un apparaissant dans l'écriture de w n'est pas forcément un x tel que : prendre par exemple w = ((a, 1), (b, 1), (a, -1)), avec a et b distincts; alors )
Désignons par le groupe additif de entiers rationnels et par la somme directe (ou encore somme restreinte) de la famille , indexée par X, de groupes tous égaux à . Autrement dit, est l'ensemble des familles à support fini d'entiers rationnels indexées par X, cet ensemble étant muni de la loi de groupe « addition composante par composante ». (Le groupe est appelé le groupe abélien libre construit sur X, où le mot « libre » n'a pas le même sens que dans l'expression « groupe libre ».)
D'après ce qui précède, nous pouvons considérer l'application
a) Prouver que est un homomorphisme de groupes.
Il suffit de vérifier que chaque composante de est un homomorphisme (de F(X) dans ). On fixe donc et l'on considère l'application (symbole de Kronecker) qui à fait correspondre 1 et à tout autre élément de X fait correspondre 0.
Puisque les ((y, 1)), où y parcourt X, forment une base du groupe libre F(X), il existe un (et un seul) homomorphisme de F(X) dans qui, pour tout y dans X, applique l'élément ((y, 1)) de F(X) sur
Puisque est un homomorphisme, il applique un élément de F(X) sur
Donc l'application est égale à Puisque est un homomorphisme, est donc un homomorphisme, comme annoncé.
b) Prouver que le dérivé F'(X) du groupe F(X) est l'ensemble des éléments de F(X) tels que, pour tout x dans X,
autrement dit l'ensemble des éléments w de F(X) tels que, pour tout x dans X,
Désignons par H l'ensemble des éléments w de F(X) tels que, pour tout x dans X, Il s'agit de prouver que H = F'(X).
H est le noyau de l'homomorphisme défini au point a), à savoir l'homomorphisme
Donc H est un sous-groupe (normal) de F(X). Puisque le groupe d'arrivée de , à savoir le groupe , est abélien, le noyau H de contient le dérivé F'(X) de F(X).
Il reste à prouver que H est contenu dans F'(X).
Notons l'homomorphisme de F(X) sur F(X)/F'(X).
Pour tout élément de F(X), nous avons
où, pour y dans X, désigne la lettre signée Puisque le groupe F(X)/F'(X) est abélien, cela peut s'écrire
Puisque le résultat peut s'écrire
- (1)
Si w appartient à H, alors, par définition de H, le membre droit égale l'élément neutre du groupe F(X)/F'(X), donc (1) montre que si w appartient à H, est l'élément neutre de F(X)/F'(X). Puisque est l'homomorphisme canonique de F(X) sur F'(X), cela revient à dire que tout élément w de H appartient à F'(X), autrement dit H est contenu dans F'(X). Comme on l'a vu, cela achève de prouver l'énoncé.
c) Prouver que l'abélianisé F(X)/F'(X) de F(X) est isomorphe au groupe
On a vu dans la solution du point b) que F'(X) est le noyau de l'homomorphisme
D'après le premier théorème d'isomorphisme, il suffit donc de prouver que l'homomorphisme est surjectif.
Pour tout élément x de X, notons , comme au point a), l'élément de On vérifie facilement que les , pour parcourant X, engendrent le groupe Donc, pour prouver que l'homomorphisme est surjectif, il suffit de prouver que pour tout élément x de X, il existe un élément w de F(X) tel que Il suffit évidemment de prendre w égal à ((x, 1)).
d) Soient L un groupe libre et X une base de L. Prouver que l'abélianisé L/L' de L est isomorphe au groupe
D'après le chapitre théorique, L est isomorphe à F(X). Comme un isomorphisme d'un groupe G sur un groupe H applique le dérivé de G sur le dérivé de H, il en résulte que L/L' est isomorphe à F(X)/F'(X) et donc, d'après le point c), à
Problème 6 (facile)
modifiera) Soient X un ensemble non vide et n un nombre naturel non nul. Notons H l'ensemble des éléments de F(X) tels que
Prouver que H est un sous-groupe normal d'indice n de F(X).
Soit la base canonique de F(X). Désignons par f l'application constante de dans le groupe (additif) qui envoie tout élément ((x, 1)) de sur l'élément de
Puisque est une base de F(X), il existe un (et un seul) homomorphisme de F(X) dans qui prolonge f.
Si désigne l'homomorphisme canonique de sur applique tout élément ((x, 1)) de sur , donc, puisque est un homomorphisme, il applique tout élément de F(X) sur
Donc l'ensemble H est le noyau de l'homomorphisme et est donc un sous-groupe normal de F(X).
Puisque l'ensemble X est supposé non vide, f, d'après sa définition, prend la valeur , donc , qui prolonge f, prend lui aussi la valeur Puisque l'élément engendre le groupe est donc surjectif, donc, d'après le premier théorème d'isomorphisme, autrement dit F(X)/H, est isomorphe à En particulier, H est d'indice n dans F(X).
b) Soient L un groupe libre non trivial et n un nombre naturel non nul. Prouver que L contient au moins un sous-groupe normal d'indice n.
Choisissons une base X de L. Puisque L est non trivial, X n'est pas vide. Donc, d'après le point a), F(X) contient un sous-groupe normal d'indice n. Puisque, d'après le chapitre théorique, L est isomorphe à F(X), il en résulte que L contient au moins un sous-groupe normal d'indice n.
Problème 7
modifierSoient L un groupe et X une partie de L. Montrer que X est une base de L si et seulement si toute application de X dans le groupe symétrique d'un ensemble A se prolonge de façon unique en une action de L sur A.
Cette solution est rédigée en termes d'actions à gauche, mais on pourrait en faire autant à droite : cf. (en) Benjamin Steinberg, « An elementary proof that subgroups of free groups are free », arXiv, 2010 [texte intégral].
Si X est une base de L alors toute application de X dans un groupe symétrique se prolonge de façon unique en un morphisme de L dans ce groupe.
Réciproquement, supposons que (X, L) vérifie cette propriété, et considérons une application f de X dans un groupe G quelconque. Par composition avec le plongement canonique de G dans (théorème de Cayley), on obtient une application F de X dans . D'après l'hypothèse, F se prolonge de façon unique en un morphisme , et il s'agit juste de vérifier que est en fait à valeurs dans le sous-groupe (ce sera alors le seul prolongement de f en un morphisme de L dans G, par unicité de la composée d'un tel morphisme par l'inclusion de G dans ).
Nous devons donc démontrer que pour tout , la permutation est la translation par un élément de G (qui est alors nécessairement ), ou encore que . Pour cela, fixons h et posons . On vérifie sans peine que ceci définit un morphisme qui prolonge F, donc , cqfd.
Références
modifier- ↑ N. Bourbaki, Algèbre, Chapitres 1 à 3, Paris, 1970, p. A I.148, exerc. 26, a).