Théorie des groupes/Premiers résultats sur les groupes simples
Introduction
modifierOn va donner ici quelques théorèmes sur les groupes simples, qui nous permettront notamment de prouver dans les exercices que tout groupe simple non commutatif d'ordre < 168 est isomorphe à A5.
Commençons par une remarque banale :
Soit G un groupe simple non commutatif (autrement dit un groupe simple, fini ou infini, dont l’ordre n’est pas un nombre premier). Le centre de G est réduit à l'élément neutre et le dérivé de G est G tout entier.
Le centre Z(G) de G est un sous-groupe distingué de G. Puisque G est simple, Z(G) est donc égal à 1 ou à G tout entier. S'il était égal à G tout entier, G serait commutatif, ce qui est contraire aux hypothèses, donc Z(G) est réduit à l'élément neutre. Le dérivé D(G) de G est lui aussi un sous-groupe distingué de G, donc il est égal à 1 ou à G tout entier. S'il était égal à 1, G serait commutatif, ce qui est contraire aux hypothèses, donc D(G) est égal à G tout entier.
Utilisation des opérations d'un groupe sur certains ensembles
modifierSoit G un groupe opérant sur un ensemble fini X de cardinal n. Si K désigne le noyau de l'homomorphisme de G dans SX correspondant à cette opération, le groupe quotient G/K est isomorphe à un sous-groupe de Sn.
Soit l'homomorphisme de G dans SX correspondant à l'opération en question. D'après le premier théorème d'isomorphisme, le groupe quotient G/K est isomorphe à l'image de , image qui est un sous-groupe de SX. Comme X est de cardinal n, SX est isomorphe à Sn, d'où l'énoncé.
Si un groupe simple G opère non trivialement sur un ensemble X, cette opération est fidèle.
Soit l'homomorphisme de G dans SX correspondant à l'action de G sur X. Puisque le noyau d'un homomorphisme de groupes est sous-groupe normal du groupe de départ, le noyau de est sous-groupe normal de G. Puisque G est simple, ce noyau est donc égal à G ou réduit à l'élément neutre. Puisque l'action est supposée non triviale, le noyau de n’est pas G tout entier, donc il est réduit à l'élément neutre, donc est injectif, autrement dit l'action de G sur X est fidèle.
Si un groupe simple G opère non trivialement sur un ensemble X de cardinal fini n, l'opération de G sur X est équivalente à l'opération naturelle d'un sous-groupe de Sn; en particulier, G est isomorphe à un sous-groupe de Sn (et G est donc fini). Si, de plus, l’ordre de G est au moins égal à 3, l'opération de G sur X est équivalente à l'opération naturelle d'un sous-groupe de An; en particulier, G est alors isomorphe à un sous-groupe de An.
D'après le théorème 2, l'opération de G sur X est fidèle. Donc, comme noté dans le chapitre Action de groupe, cette opération est équivalente à l'opération naturelle d'un sous-groupe H de SX. Toujours d’après le chapitre Action de groupe, l'opération naturelle de H est équivalente à l'opération naturelle d'un sous-groupe K de Sn. En particulier, K est isomorphe à G et est donc simple. Si l’ordre de G est au moins égal à 3, K est un sous-groupe simple de Sn dont l’ordre est au moins égal à 3, donc, d’après un exercice de la série groupes alternés, K est contenu dans An.
Soient G un groupe simple et H un sous-groupe de G, distinct de 1 et de G. On suppose que les conjugués de H sont en nombre fini n. Alors l'action de G par conjugaison sur l’ensemble des conjugués de H est équivalente à l'action naturelle d'un sous-groupe transitif de Sn; en particulier, G est isomorphe à un sous-groupe transitif de Sn. Si, de plus, l’ordre de G est au moins égal à 3, alors l'action de G par conjugaison sur l’ensemble des conjugués de H est équivalente à l'action naturelle d'un sous-groupe transitif de An; en particulier, G est isomorphe à un sous-groupe transitif de An.
Puisque G est simple et que H est distinct de 1 et de G, H n’est pas un sous-groupe distingué de G, donc il a plusieurs conjugués. Il est clair que G agit par conjugaison sur l’ensemble X des conjugués de H et que cette action est transitive. Puisque l’ensemble X des conjugués de H comprend plusieurs éléments, l'action de G sur X n'est donc pas triviale, donc l'énoncé résulte du théorème 3 et du fait (noté au chapitre Action de groupe) que si une opération de groupe est équivalente à une opération transitive, elle est transitive.
Soit G un groupe simple fini d'ordre non premier, soit p un diviseur premier de l’ordre de G et n le nombre des p-sous-groupes de Sylow de G. Alors
a) n est au moins égal à p + 1 (et, a fortiori, est > 1);
b) l'opération de G par conjugaison sur l’ensemble de ses p-sous-groupes de Sylow est équivalente à l'opération naturelle d'un sous-groupe transitif de An. En particulier, G est isomorphe à un sous-groupe transitif de An (et l’ordre de G divise donc n!/2).
Puisque G est un groupe simple fini d'ordre non premier, son ordre n’est pas une puissance de nombre premier. (Si son ordre était une puissance de nombre premier, il serait nilpotent, donc résoluble, et on sait que les seuls groupes simples résolubles sont les groupes simples commutatifs, c'est-à-dire les groupes d'ordre premier.) Donc les p-sous-groupes de Sylow de G sont des sous-groupes propres de G. Comme ils sont évidemment > 1 et que G est simple, les p-sous-groupes de Sylow de G ne sont donc pas distingués dans G, donc n > 1. (Voir un problème de la série Théorèmes de Sylow.) D'après le théorème de congruence de Sylow, n est donc au moins égal à p + 1, ce qui démontre le point a). Puisque les p-sous-groupes de Sylow de G sont exactement les conjugués de l'un d'entre eux et que l’ordre de G est évidemment au moins égal à 3, le point b) résulte du théorème théorème 4. (L'ordre de An est n!/2 parce que, d'après le point a), n > 1.)
Remarque. La forme faible du théorème 5 (G est isomorphe à un sous-groupe transitif de An), et même une forme encore plus faible (G est isomorphe à un sous-groupe de An) suffit déjà dans bon nombre d'applications, mais la forme forte (l'opération de G par conjugaison sur l’ensemble de ses p-sous-groupes de Sylow est équivalente à l'opération naturelle d'un sous-groupe transitif de An) peut rendre des services que la forme faible ne rend pas. Supposons par exemple que les p-sous-groupes de Sylow de G aient deux à deux des intersections triviales. On a vu dans les exercices de la série Théorèmes de Sylow qu'un élément de G dont l’ordre est une puissance de p normalise un p-sous-groupe de Sylow P de G si et seulement s'il appartient à P. Cela revient à dire que dans l'opération de G par conjugaison sur l’ensemble E de ses p-sous-groupes de Sylow, un élément x de G dont l’ordre est une puissance de p fixe un élément P de E si et seulement x appartient à P. Puisque nous supposons que les p-sous-groupes de Sylow de G ont deux à deux des intersections triviales, il en résulte que dans l'opération de G par conjugaison sur l’ensemble E de ses p-sous-groupes de Sylow, un élément non neutre de G dont l’ordre est une puissance de p fixe un et un seul élément de E. Il résulte donc de la forme forte du théorème que (si les p-sous-groupes de Sylow de G ont deux à deux des intersections triviales) G est isomorphe à un sous-groupe transitif H de An possédant la propriété suivante : tout élément non neutre de H dont l’ordre est une puissance de p fixe un et un seul élément de {1, 2, ..., n}. Ce fait peut être utilisé, par exemple, dans la démonstration du théorème[1] selon lequel tout groupe simple d'ordre 360 est isomorphe à A6.
Soient G un groupe simple et H un sous-groupe propre de G, d'indice fini n. Alors G est isomorphe à un sous-groupe transitif de Sn (et est donc fini). Si, de plus, l'ordre de G est au moins égal à 3 (ce qui est forcément le cas si n est au moins égal à 3), G est isomorphe à un sous-groupe transitif de An.
On a vu au chapitre Action de groupe que G agit par translation à gauche sur l’ensemble des classes à gauche modulo H. Il est clair que cette action est transitive. Puisque H est un sous-groupe propre de G, l’ensemble des classes à gauche modulo H a plus d'un élément, donc l'action de G sur cet ensemble, étant transitive, n’est pas triviale. L'énoncé résulte donc du théorème 3.
Remarque. Ce théorème entraîne qu'un sous-groupe propre d'un groupe simple G ne peut pas être d'indice trop petit par rapport à l’ordre de G.
Soient G un groupe et H un sous-groupe d'indice fini n de G. Si H0 désigne le cœur de H dans G, c'est-à-dire l'intersection des conjugués de H dans G, H0 est un sous-groupe normal de G contenu dans H et le groupe quotient G/H0 est isomorphe à un sous-groupe de Sn. (En particulier, H0 est lui aussi d'indice fini dans G.)
On a vu au chapitre Action de groupe que G opère par translation à gauche sur l’ensemble X des classes à gauche modulo H. Soit l'homomorphisme de G dans SX correspondant à cette opération. Montrons que le noyau K de est H0. Un élément g de G appartient à K si et seulement si pour tout élément x de G, gxH = xH. Cela revient à dire que, pour tout élément x de G, gx appartient à xH, autrement dit g appartient à xHx-1. Ceci montre bien que K est égal à l'intersection H0 des conjugués de H. Ainsi, H0 est le noyau d'un homomorphisme de groupes partant de G, donc est un sous-groupe normal de G (ce qu'on pourrait évidemment prouver plus directement). Puisque l’ensemble X est de cardinal n, il résulte du théorème 1 que G/H0 est isomorphe à un sous-groupe de Sn.
Soient G un groupe fini d'ordre n > 1 et p le plus petit diviseur premier de n. Si un sous-groupe de G est d'indice p, ce sous-groupe est distingué[2]. (Note : on a déjà démontré cet énoncé dans les exercices sur les actions de groupe.)
Soit H un sous-groupe d'indice p de G. Il s'agit de prouver que H est sous-groupe distingué de G. Il revient évidemment au même de prouver que l'intersection H0 des conjugués de H est égale à H. D'après le théorème 7, H0 est un sous-groupe distingué de G et G/H0 est isomorphe à un sous-groupe de Sp. Donc l’ordre de G/H0, autrement dit l'indice de H0, divise p!. Comme cet indice divise également n, il divise le pgcd de p! et de n. Puisque p est le plus petit diviseur premier de n, le pgcd de p! et de n est égal à p, donc l'indice de H0 divise p. Puisque H0 est contenu dans H, H0 n’est pas G tout entier, donc l'indice de H0 est p. D'après la formule des indices, il en résulte que H0 = H, ce qui, comme nous l'avons vu, prouve que H est un sous-groupe distingué de G.
Remarque. Si n est pair, p est égal à 2 et nous retrouvons un théorème déjà démontré (même pour un groupe G infini) : tout sous-groupe d'indice 2 est distingué.
Soit G un groupe fini d'ordre n > 1 et non premier, soit p le plus petit facteur premier de n. Si G admet un sous-groupe d'indice p, G n’est pas simple.
Utilisation des théorèmes de Sylow
modifierOn va donner un exemple de la façon dont, en raisonnant sur les sous-groupes de Sylow (autrement qu'on ne l'a fait dans la démonstration du théorème 5), on peut prouver, pour certains nombres naturels n, qu’il n'existe pas de groupe simple d'ordre n.
Soit n un nombre naturel non nul. On suppose qu’il existe un facteur premier p de n tel que n = pr m, où m est non divisible par p, où m > 1 et où le seul diviseur naturel d de m qui soit congru à 1 modulo p est 1. Aucun groupe d'ordre n n'est simple.
Soit G un groupe d'ordre n. D'après les théorèmes de Sylow, le nombre des p-sous-groupes de Sylow est un diviseur de m et est congru à 1 modulo p. D'après les hypothèses de l'énoncé, il en résulte que G n'a qu'un p-sous-groupe de Sylow, soit P. On sait que ceci entraîne que P est un sous-groupe distingué de G. Comme p divise n, P > 1. Comme m > 1, P <G. Ainsi, G admet un sous-groupe distingué P tel que 1 < P < G, donc G n’est pas simple.
Utilisation du théorème du complément normal de Burnside
modifierSoit G un groupe fini dont l'ordre admet au moins deux facteurs premiers, soit p un facteur premier de l'ordre de G. Supposons qu'un p-sous-groupe de Sylow P de G soit central dans son normalisateur NG(P). Alors, d'après le théorème du complément normal de Burnside, P admet un complément normal dans G et G n'est donc pas simple.
Comme on l'a vu dans le chapitre théorique Transfert, théorème du complément normal de Burnside et dans les exercices correspondants, cela permet de prouver que, sous certaines conditions ne dépendant que du nombre naturel n, il n'existe pas de groupe simple d'ordre n.
Notes et références
modifier- ↑ Ce théorème a été démontré par F. N. Cole, « Simple groups as Far as Order 660 », American Journal of Mathematics, vol. 15, n° 4, octobe 1893, p. 303-315, spéc. 307-310, consultable sur le site JSTOR.
- ↑ Énoncé dans J. Calais, Éléments de théorie des groupes, Paris, 1984, p. 217, exerc. 11.