Recherche:Imagine un monde/Épistémologie


Wikimédia comme source d'inspiration méthodologique
Méthodologie de la recherche et plaidoirie en faveur d'une science démocratique
Huitième chapitre du travail de recherche Imagine un monde

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Ce travail de recherche en anthropologie m'a simultanément plongé au cœur de deux communautés épistémiques[B 1] engagées chacune dans une mission de partage des connaissances humaines, mais diamétralement opposées quant à leurs valeurs et leur philosophie d'action. D'un côté, j'étais actif sur mon terrain d'étude, le mouvement Wikimédia, un mouvement social collaboratif, inclusif, profondément égalitaire, libre d'accès et jusqu'à peu épargné de toute relation commerciale. De l'autre, je réalisais mon parcours doctoral dans un milieu universitaire, compétitif, élitiste par excellence, dont l'accès nécessite souvent de sérieuses capacités financières[B 2], et qui se voit de plus en plus accusé d'être un lieu de marchandisation du savoir[M 1][V 1]. Deux univers très proches au niveau de leurs finalités et pourtant si éloignés par leurs approches, entre lesquels je devais trouver ma place en tant que chercheur en plein questionnement pratique, méthodologique et éthique.

Au niveau de l'anthropologie, j'avais retenu que Alain Testart avait partagé l'idée que : « La méthode, en tant que moyen, ne peut être que subordonnée à une finalité : l'étude d'un objet scientifique. L'objet justifie la méthode. C'est donc par lui qu'il faut commencer lorsque nous nous demandons : comment définir l'anthropologie sociale » en précisant par la suite que cela « implique une reconversion sans aucun doute difficile, mais aussi créatrice, puisqu'il s'agit, d'inventer de nouveaux moyens d'investigation à partir de données qui se présentent différemment »[B 3]. Dans cette perspective et contrairement à d'autres sciences, une recherche socio-anthropologique ne repose donc pas sur un cahier des charges unique et préétabli qu'il faudrait respecter à la lettre. Et c'est là sans doute la raison pour laquelle Jean-Paul Colleyn disait quant à lui qu'« il y a aujourd'hui autant d'anthropologies qu'il y a d'objets d'études »[B 4].

D'un autre côté, Michael Singleton affirme que selon lui « l'anthropologie, ça n'existe pas, […] ce qui existe réellement, ce sont des anthropologues »[V 2], alors que de son côté Vincent Mirza partage l'idée selon laquelle « le premier terrain d'une ethnologie de la mondialisation commence dans les universités et les centres de recherche »[B 5]. Si l'on ajoute ces deux nouvelles propositions aux deux premières, on comprend donc à quel point ma propre personnalité confrontée à l'étude d'un mouvement mondial fondé sur le partage de la connaissance aura influencé mes activités de chercheur, jusqu'au point de remettre en question les méthodes et pratiques qui m'avaient été enseignées auparavant. Car de fil en aiguille, ma participation au mouvement Wikimédia m'inscitat à remettre en cause certains fondements de l'anthropologie, des sciences sociales, et même du système universitaire tels qu'ils m'avaient été livrés tout au long de mon parcours universitaire.

Ensuite le simple fait que mon terrain d'étude se situait principalement sur l'espace Web eu aussi de certaines conséquences épistémologiques dont la première fut sans doute de réaliser qu'il me serait difficilement possible d'analyser de manière exhaustive, la gigantesque quantité d'archives qui était mise à ma disposition. Face à cet océan de données, j'ai heureusement pu compter sur plus de 11 ans d’immersion au sein du mouvement[S 1], soit plus de 110 mois et près de 1 500 jours d'observation[S 2] qui m'auront permis de sélectionner les matériaux les plus pertinents pour mes analyses. Mais encore fallait-il que je reste alors conscient et attentif aux biais de subjectivité suscités par mes choix, et à l'absence d'exhaustivité des informations retenues.

Pour pallier en partie ces incontournables inconvénients, j'ai alors pensé offrir aux lecteurs la possibilité de poursuivre leurs propres observations de terrain grâce à plus d'un millier d'hyperliens pointant vers l'espace numérique Wikimédia, mais aussi vers le reste de l'espace Web dont proviennent certaines informations. Grâce à ces liens, il est possible de vérifier l'authenticité de mes sources et de consulter d'autres informations que je n'aurais pas retenues pour, le cas échéant, remettre en cause la pertinence de mes choix et de mon argumentation. De plus, tous ces hyperliens pointent vers des pages archivées sur le site archive.org de telle sorte que l'information reste disponible même en cas de disparition des pages originales.

Après avoir ainsi rapproché les lecteurs de mon terrain d'étude, j'ai également fait le nécessaire pour qu'ils soient aussi au plus proche de mes recherches, en choisissant de publier mes travaux d'écriture en direct et dans des pages Web librement accessibles sur site Wikiversité. Depuis celles-ci, deux clics suffisent pour accéder à toutes les pages Web archivées, grâce aux renvois disposés au cœur du texte. De cette nouvelle méthode et pratique socio-anthropologique sont ainsi nés deux concepts épistémiques innovants. Un premier qui met fin au pacte ethnographique pour répondre à certaines attentes propres à l'épistémologie de Karl Popper[B 6], ce que j'ai nommé : « écriture authentifiable », et un second qui place les lecteurs de mes travaux au plus proche de mes observations ethnographiques, et que j'ai intitulé « lecture immersive ».

En écrivant les résultats de mes recherches en temps réel sur Wikiversité, et donc au cœur même de mon terrain d'étude, j'ai alors pensé à développer un processus dialogique avec les personnes actives au sein du mouvement social que j'étais en train d'étudier. D'autres l'avaient déjà fait dans d'autres circonstances tel que Mondher Kilani[B 7], sauf que cette situation tout à fait nouvelle en anthropologie de rédiger son texte directement sur une page Web permettait aux acteurs de mon terrain de lire et de réagir à mes écrits. Je les incitais même à le faire en faisant de réguliers appels à la finalisation de chacun de mes chapitres et en les redirigeant vers des pages de discussion spécialement dédiées et propices au dialogue. C'est alors que rapidement, ces pages de discussion ont donné naissance à une nouvelle pratique méthodologique que je baptise cette fois, « pratique ethnographique récursive ». Récursive dans le sens où chaque nouvelle discussion était susceptible d'apporter des modifications à mon texte, alors que chaque modification pouvait créer de nouvelles discussions, et ainsi de suite selon un processus de mise en abîme.

En fin de compte, les expérimentations méthodologiques et épistémologiques réalisées au cours de ce travail de recherche me permirent de découvrir tout un potentiel de l'espace Web largement sous-exploité en sciences sociales, et peut-être même dans le reste de la science sans que je le sache. Ce fut pour moi un véritable bouleversement, qui dans un élan de réflexivité me conduit à écrire une plaidoirie en faveur d'une science plus démocratique et par conséquent, plus proche de tous les êtres humains.

Une étude holistique, non exhaustive, mais sans fin

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Il existe en anthropologie une tradition d'écriture que l'on appelle monographie et dont le terme ne s'utilise plus en synonyme du mot ouvrage, tel que cela se fait en général, mais désigne dans ce cas précis un travail de recherche ethnographique qui aborde tous les aspects sociaux et culturels d'un peuple. D'où sans doute, cette autre habitude de la discipline de s'intéresser à des communautés de petite taille et bien délimitées d'un point de vue identitaire, culturel et géographique de telle sorte à pouvoir en faire le tour au niveau des observations.

Anciennement au lieu de parler de peuples, on utilisait le mot ethnie devenu quelque peu désuet à ce jour, mais dont la racine étymologique restera présente au niveau du substantif ethnographie, qui désignait initialement l'étude des mœurs et coutumes d'une population ; et dans le mot ethnologie qui désigne pour sa part l'étude comparative des données et travaux ethnographiques. Or, le mouvement Wikimédia se trouve à l'opposé d'être composé d'un groupe d'être humains homogène, puisqu'il rassemble des millions de membres issus de plusieurs centaines de régions culturelles distinctes. Comment dès lors « monographier » ou autrement dit, l'ethnographier tout ce qui se passe dans un mouvement de telle envergure ? Car on pourrait s'en interdire de le faire en mobilisant certaines incapacités, mais ce serait alors faire aveu d'impuissance au sein d'une science qui dédie pourtant à étudier l'ensemble de l'humanité.

Voici donc le défit méthodologique auquel je fus confronté dès le début de ce travail de recherche et face auquel j'ai bien du laisser tomber toute prétention à l'exhaustivité. Une exhaustivité qui par ailleurs perd beaucoup de son sens dans un monde en profonde mutation et soumis à de très rapides changements. Car de nos jours, à peine pense-t-on avoir fait le tour lors de la publication d'un livre sur un sujet qui fait suite à plusieurs années d'observation, qu'il faudrait déjà recommencer en constatant que plus rien n'est déjà comme avant.

Voici donc comment j'en suis arrivé à l'idée de réaliser une étude holistique du mouvement Wikimédia dans le but d'en fournir une vue d'ensemble, mais sans pour autant aborder les choses de manière exhaustive. Ainsi, de la même manière que certains parlent de micro-terrain en sciences sociales, je pourrais alors dans le cas qui me concerne, parler d'un macro-terrain dans lequel je reconnais ne pas avoir tout observé, mais tout en affirmant que cela ne m'a pas empêché pour autant de fournir une vue d'ensemble du mouvement sociale qui constitua mon objet d'étude.

Cette entreprise fut ensuite pour moi un véritable « voyage spirituel »[B 8] et une quantité de travail bien supérieure, je pense, à celle qui est habituellement demandée pour acquérir le titre de docteur. Au niveau de sa durée, mon observation commença en début 2011, lorsque j'ai entamé mon travail de fin de master en anthropologie, et se terminera sans doute le jour où je serai trop fatigué pour faire de la recherche. Car une approche holistique de telle envergure demande aussi de développer une pensée complexe telle qu'elle me fut inspirée par des auteurs comme Edgar Morin[B 9] ou Ken Wilber[B 10], et que c'est là une redoutable façon de se mettre le cerveau dans un engrenage qui ne me semble pas prêt à s'arrêter.

Le mouvement Wikimédia est effectivement un gigantesque laboratoire socio-anthropologique qui offre une quantité insondable d'informations libres d'accès et propice à l'étude des êtres humains. Sauf que ce libre accès n'est possible que pour la partie en ligne du mouvement, là où il suffit de se connecter à Internet pour parcourir la presque totalité de ce qui s'y passe. Car au niveau de sa sphère hors-ligne, la situation est tout opposée, puisque l'information se trouve géographiquement dispersée dans le monde et qu'il devient alors impensable dans le cadre d'un travail solitaire, d'y accéder dans sa globalité.

Pour rester fidèle à mon désir d'approche holistique, il m'est alors venu l'idée de m'approcher le plus possible d'une image réduite et synthétique du mouvement tout en m'efforçant de la garder fidèle et représentative. J'en suis donc venu à parler de tout ce qui existe au sein du mouvement, mais tout en me voyant limité en premier lieu par la barrière de la langue étant donné que je peux m'exprimer confortablement sans l'aide d'outils de traduction qu'en français, anglais et portugais. Après quoi, il me fallait encore tenir compte de mes limites budgétaires au niveau des déplacements[N 1], et des perturbations provoquées par la pandémie de Covid-19. Ces contraintes justifièrent ainsi d'autant plus la primauté accordée à l'observation de sphère francophone du mouvement, tout en gardant une priorité, à chaque fois que cela me fut possible, sur sa dimension internationale.

 
Fig. 8.1. Dessin de L.L. de Mars pour Framasoft (source : https://w.wiki/$eq)

Pour présenter les choses plus en détails, au niveau des projets en ligne, trois d'entre eux auront fait l'objet d'une participation plus assidue. Le premier est la version francophone du projet Wikipédia bien connue en qualité de projet fondateur du mouvement. Le deuxième est le site francophone de Wikiversité, dernier-né des projets soutenus par la Fondation et d'une grande importance dans l'écosystème Wikimédia, puisqu'il se dédie au partage de contenus pédagogiques et à la publication de travaux de recherche. Le troisième et dernier est le projet Méta-Wiki, qui représente l'espace numérique de coordination et de gouvernance du mouvement. Dans une moindre mesure enfin, le site Wikimédia Commons constitua aussi un de mes lieux d'activités puisqu'il est l'endroit central et désigné pour télécharger des fichiers (photos, vidéo, etc.) avant de les utiliser sur les autres projets Wikimédia[N 2].

En plus des limites de temps, de finances et de capacités linguistiques, j'aurai aussi été confronté à des restrictions d'accès au niveau de certaines sphères du mouvement. Dans l'espace numérique et comme cela a déjà été présenté dans le septième chapitre de ce travail de recherche, le rejet de certaines de mes candidatures m'a empêché d'expérimenter certaines fonctions au sein du mouvement. Ce fut ainsi le cas pour le statut d'administrateur sur le site Meta-Wiki[S 3] et celui de Steward par la suite[S 4]. Ceci alors qu'en revanche j'ai été élu administrateur du projet Wikiversité francophone en octobre 2015[S 5], avec un renouvellement de mon statut d'administrateur d'interface en novembre 2019[S 6]. Dans la version anglophone de ce projet, ma candidature aura également été retenue par le comité d'édition du WikiJournal of Humanities en juin 2019[S 7]. Toujours au niveau des activités en ligne, j'aurais enfin participé à la première édition du Wikimedia & Education Greenhouse Project[S 8], un programme pilote destiné à former les membres des communautés locales à lancer de nouveaux projets éducatifs avec le soutien du mouvement.

Au niveau de l'espace hors ligne cette fois, le rejet de ma candidature au conseil d'administration de Wikimédia France[S 9] ne m'aura pas permis de connaitre cette association aussi bien que l'association belge dont je fus l'un des membres fondateurs[S 10] et membre du conseil d'administration de janvier 2017[S 11] à août 2020[S 12]. Bien que j'aie pourtant fait preuve de beaucoup d'insistance, il ne m'a pas non plus été possible de participer à l'une des Wikimedia Conference organisées chaque année à Berlin, et dont celle de 2020 fut annulée suite à la pandémie de Covid-19[S 13]. En raison d'une demande trop tardive, je n'ai malheureusement pas non plus réussi à rejoindre l'un des groupes de travail formé dans le cadre de l'élaboration de la stratégie du mouvement[S 14]. Et puis en 2021 enfin, où suite à deux reports consécutifs des élections en raison de la crise sanitaire[S 15], ma candidature au conseil d'administration de la Fondation Wikimédia n'avait pas non plus été retenue[S 16]. Un dernier évènement qui marqua ainsi la fin de mes recherches de participation au sein du mouvement pour me concentrer sur mes travaux d'écriture.

En compensation à tous ces manquements, j'ai en revanche participé, en Angleterre[S 17], en Italie[S 18] et en Suède[S 19], à trois éditions de la plus importante rencontre annuelle internationale du mouvement intitulée Wikimania, ainsi qu'aux hackathons qui traditionnellement la précèdent. J'ai de plus pris part à un sommet de recherche consacré au mouvement qui succéda à la rencontre en Suède[S 20] et aux conversations mondiales au sujet de la stratégie du mouvement[S 21] ainsi qu'à la vidéoconférence Wikimania 2021[S 22] Au niveau international toujours, j'ai été présent à l'une des conférences Wiki Indaba, celle de Tunis[S 23] en 2018, qui rassemblaient les communautés wikimédiennes situées en Afrique, ainsi qu'à une formation à Berlin destinée aux membres des conseils d'administration des associations locales[S 24]. Au niveau de la francophonie enfin, j'ai participé activement à trois WikiConventions Francophones, l'une à Strasbourg[S 25], l'autre à Bruxelles[S 26],et la troisième en 2021 en vidéoconférence[S 27]. En Belgique enfin, j'ai participé à de nombreux ateliers et rencontres de l'association Wikimédia Belgique, et en France à un souper à Paris organisé à l'initiative d'un éditeur de Wikipédia[S 28].

En dehors des instances et des rencontres Wikimédia, j'aurai finalement effectué quatre voyages d'exploration dans le but de mieux comprendre la perception du mouvement Wikimédia dans le monde. Le premier se déroula en Inde[M 2], le second au Cap-Vert[S 29], le troisième en Tunisie[S 30] et le dernier au Ghana[S 31]. Un cinquième voyage vers le Québec qui était prévu pour l'automne 2020 fut malheureusement annulé en raison d'une quarantaine imposée à Montréal, cumulé à une absence de garantie quant à la possibilité de rencontrer la communauté autochtone attikamekw récemment porteuse d'un projet Wikipédia en langue locale[B 11].

Bien que limitée au niveau de l'expérience et du temps, ma participation au sein de Wikimédia me permit toute fois de rassembler les matériaux nécessaires à l'écriture de cette thèse de doctorat[N 3], en complétant certains manques au niveau de l'expérimentation personnelle par des témoignages en provenance d'autres acteurs du mouvement. Tout ceci encore une fois, au départ d'une observation participante de longue durée qui me permit d'atteindre une certaine « familiarité informée » avec ce qui se passe au cœur du mouvement, suite au vécu de « moments ethnographiques » qui par-delà les méprises, me permirent de mettre en résonance le réel, l'imaginaire et le symbolique de l'univers Wikimédia, face à mon propre vécu[B 12].

Pour le reste, il faut savoir enfin que cette thèse de doctorat aura été entièrement écrite et publiée en temps réel sur le site web du projet Wikimédia intitulé Wikiversité, un projet qui se destine à la production de contenus pédagogiques et à la réalisation de travaux de recherche[M 3]. En raison de la licence libre CC. BY. SA 3.0[S 32] appliquée sur l'ensemble des pages de ce site, la réutilisation de cette thèse de doctorat ainsi que sa transformation complète ou partielle et même commerciale est donc possible et autorisée. Ce qui apparait comme une première au sein des projets Wikimédia, le sera aussi au niveau académique puisqu'en tout et pour tout je n'ai trouvé sur le net que deux expériences semblables à la mienne. La première est celle d'Ambre Troizat, qui a aussi repris des études universitaires tardivement[S 33] et qui rédige aussi une thèse de doctorat sur Wikiversité portant sur les abolitions des traites et des esclavages[S 34]. La deuxième, qui concerne une thèse terminée cette fois, elle celle de Doug Belshaw qui, avant de soutenir sa thèse de doctorat[M 4] intitulée « The never ending thesis »[S 35] à l'université de Durham, l'avait éditée sous licence CC.0 sur un site MediaWiki auto hébergé, avant de la publier sous forme de livre électronique sous le titre The essential elements of digital literacies[B 13].

Cependant, contrairement à la thèse de Doug Belshaw dont le site web a finalement disparu, ce travail de recherche tel qu'il se présente sur Wikiversité restera disponible pour d'éventuelles améliorations qui pourraient être faites par moi-même ou par toute autre personne qui y accéderait. Au même titre qu'un article encyclopédique sur Wikipédia, il n'a donc aucune date de clôture présumée et fera donc fort probablement l'objet d'améliorations futures préalablement débattues sur les pages de discussion dédiées à cet effet. Au-delà de la version officielle de ma thèse qui devra être délivrée à mon université, cette pratique d'édition collaborative héritée du mouvement Wikimédia, apportera la preuve que la « slow science »[B 14] n'est pas forcément incompatible avec l'ère du numérique. La publication de travaux socio-anthropologie dans l'espace web n'a donc aucune raison de nourrir les inquiétudes de ceux qui redoutent de voir un jour « le format de la monographie complètement désuet »[B 15].

Un terrain d'anthropologie numérique et une population peu homogène

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Cette étude prend sa place parmi les travaux d'anthropologie numérique. Elle y rejoint les études dites « holistiques » qui explorent simultanément l'espace en ligne et hors-ligne du mouvement, mais en étant proche des études « instrumentales » qui reposent essentiellement sur des sources numériques[B 16]. Ce travail d'écriture apporte de plus une nouvelle illustration des six principes clefs qui semblent faire consensus à l'intérieur de la discipline. (1) Le numérique intensifie la dialectique nature/culture, (2) il offre une meilleure compréhension de la vie pré-numérique (3) il doit être abordé depuis une perspective holistique et comme partie intégrante de l'humanité, (4) il n'est pas facteur d’homogénéisation, mais au contraire réaffirme la notion de relativisme culturel, (5) il apporte une ambivalence concernant la vie politique et privée, (6) il développe une nouvelle culture matérielle dans laquelle l’anthropologue se trouve lui-même imbriqué[B 16].

À la suite de ces six principes, une autre particularité de ce travail fut celle d'aborder un terrain particulièrement peu homogène. En abandonnant toute prétention holistique, j'aurais très bien pu me focaliser uniquement sur l'étude de l'association Wikimédia Belgique dont je fis partie dès sa création en qualité de membre fondateur. Mais créée en 2014, l'association Wikimédia Belgique ne rassemblait plus qu'une douzaine de la quarantaine de membres recensés lors de sa première assemblée générale organisée par les 6 membres de son conseil d'administration[S 36]. Cinq ans plus tard, soit en 2020, lors de mon départ du conseil, celui-ci était réduit à 3 personnes[S 37], un président issu de la communauté flamande de Belgique, une Française et un Hollandais, tous préoccupés par le manque de participants et d'engagement à l'intérieur de l'association. Avec sa trentaine de membres effectifs en 2020[S 12], le mouvement Wikimédia au niveau de la Belgique ne pouvait donc constituer à mes yeux, une organisation suffisamment grande pour faire l'objet d'une recherche doctorale.

J'avais déjà été confronté à ce type de situation au niveau des projets Wikimédia lorsque j'avais eu l'idée de baser mon mémoire de fin master en anthropologie sur une observation participante au cœur du projet Wikipédia en wallon. La proximité culturelle et la connaissance de la langue m'avaient attiré vers cette communauté. Hélas, je me suis vite rendu compte que les deux administrateurs qui assumaient la maintenance du site et les cinq à dix personnes qui l'éditaient plus de cinq fois par mois[S 38] ne pouvaient apporter matière suffisante à mon projet. Mais alors que l'activité dans le mouvement Wikimédia apparait très diffuse par endroits, elle peut aussi s'avérer très dense dans d'autres. Hors-ligne, par exemple, il existe deux grands pôles d'activité que représente la Fondation avec plus de 550 employés[S 39] et l'association Wikimedia Deutschland, la première à avoir vu le jour en 2004, qui rassemble en 2020 plus de 80 000 membres[S 40] et 120 employés[S 41]. Ceci alors que dans l'espace numérique du mouvement on peut comparer au projet Wikipédia en wallon le projet Wikipédia en français qui comprend pour sa part près de 160 administrateurs et plus de 20 000 éditeurs ayant contribué au projet dans les 30 jours qui ont précédé le 15 janvier 2021[S 42].

Pareillement aux associations affiliées au mouvement, les projets d'éditions Wikimédia, affichent donc une grande disparité de tailles : à la date du 22 octobre 2020, le projet Wikipédia comporte 18 versions linguistiques qui comprennent plus d'un million d'articles, 50 plus de 100 000, 83 plus de 10 000, 119 plus de 1000, 34 plus de 100 et 10 moins de 10[S 43], alors qu'en octobre 2020 et au niveau de la quarantaine d'associations nationales, le nombre de membres peut varier d'une vingtaine à plus de 80 000[S 44]. Tant hors ligne qu'en ligne, Wikimédia apparait donc comme un mouvement social très peu homogène et « multi-situé »[B 17] propice aux « désarrois de l'ethnographe »[B 18], comparable à celui décrit par Christophe Lazaro dans son ethnographie des pratiques d'échange et de coopération au niveau de la communauté Debian[B 19] :

[...] paysage réticulaire aux multiples dimensions, sa propension à la délocalisation rend illusoire toute observation strictement locale ; l'hétérogénéité des acteurs empêche d'appréhender dans son ensemble la portée de certains événements ; […] la multiplicité des canaux de communication et des flux qui les parcourent finit par créer des enchevêtrements subtils qu'il s'avère difficile de démêler.

Mais alors que l'étude d'un espace numérique d'ampleur mondiale m'est apparue comme une tâche inconfortable et quelque peu ingrate, elle me donna aussi l'occasion, comme d'autres chercheurs, de me lancer dans des « expérimentations, tout aussi éclectiques et atypiques les unes que les autres »[B 20]. Car en publiant les résultats de mes recherches sur les pages de Wikiversité, un site Web situé au cœur même de mon terrain d'étude, c'est alors ma pratique de la socio-anthropologique qui devenait elle-même numérique, et plus seulement mon sujet de recherche. Ceci m’invita dès lors à développer le sixième principe annoncé en début de cette section selon lequel le socio-anthropologue se voit lui-même imbriqué et impliqué dans une nouvelle culture matérielle. De manière concrète, ce sont ainsi des pratiques et méthodes scientifiques expérimentales pour les sciences sociales que j'en suis venu à développer, au travers d'une sorte de « bricologie »[M 5] adaptée aux spécificités de ma situation.

Une écriture authentifiable au service d'une lecture immersive

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Un travail de recherche écrit au cœur même du terrain numérique qu'il observe offre de fait de grandes facilités pour rediriger le lecteur vers les sources narratives et argumentatives. Muni d'un accès à Internet, le lecteur de mon travail de recherche s'est donc vu octroyé la possibilité de retourner sur mes lieux d'observation pour vérifier l'authenticité des faits rapportés, mais aussi pour poursuivre nouvelles observations s'il le juge nécessaire. En rendant cette expérience possible au départ d'un simple clic[N 4], j'en suis donc venu à fournir un nouvel apport à une rigueur empirique en socio-anthropologie que Jean-Pierre Olivier de Sardant[B 21] décrit comme :

indexée à un double rapport d'adéquation empirique : (a) le rapport d'adéquation entre l'argumentation et les données d'enquête ; (b) le rapport d'adéquation entre les données d'enquête et le « réel de référence ».

 
Fig. 8.2. Dessin humoristique illustrant une posture tout à fait opposée à mon choix de produire ma thèse sur Wikiversité sous forme de pages Web (source : https://w.wiki/4$HZ)

Grâce aux hyperliens produits tout au long de mes descriptions et de mon argumentation scientifique, j'en suis donc venu à substituer la production de données d'enquête par un accès direct à des données authentiques entendues comme « morceau d'espace social et de temps social dont le chercheur veut rendre compte et qu'il se donne pour tâche de comprendre ». Ceci alors qu'il ne faut pas, bien entendu, confondre la notion d'authenticité avec celle de vérité. Une information mensongère récoltée sur le terrain telle qu'une erreur d'encodage par exemple sera donc authentifiable en tant que source d'information que l'on peut consulter soi-même tout en étant fausse assertivement parlant.

Ce que garantit par contre ce système d'« écriture authentifiable », c'est d'offrir aux lecteurs de mes travaux la possibilité d'inspecter les informations qui s'y trouvent dans l'état et les conditions identiques à ce que j'ai connu moi-même lors de mes propres découvertes. Tout au long d'une « lecture immersive », ce qui est offert aux lecteurs sera donc le loisir de se rendre eux-mêmes sur l'espace numérique de mon terrain d'étude, tel qu'il fut archivé et maintenu libre d’accès. C'est donc grâce aux particularités premières de l'espace Web, là même où se développe la majeure partie des activités du mouvement Wikimédia, que m'est venue l'idée d'expérimenter cette nouvelle méthode d'écriture. Elle a, selon moi, cet indéniable avantage de réduire drastiquement les risques de falsification ou de torsions du réel de référence, tout en offrant à une recherche, non seulement une certaine forme de « plausibilité et validité »[B 21], mais aussi de nouvelles qualités d' « authentifiabilité » des données produites et de « réfutablilité » de son argumentaire.

Ces idées furent incontestablement inspirées du principe de « vérifiabilité » qui fait débat dans le projet Wikipédia francophone depuis 2006. C'est un principe selon lequel il est préférable, voire indispensable en cas de désaccord, que le contenu d'un article encyclopédique repose sur la citation de sources ou références de qualité[B 22]. En 2011, cette règle de vérifiabilité[S 45] m'avait déjà fait penser au terme de « verifiabiliy » utilisé par Karl Popper[B 6] dans sa démarcation entre science et non-science. J'y avais d'ailleurs consacré une section dans mon mémoire de fin master réalisé au sein de la communauté des contributeurs actifs dans le projet Wikipédia[M 6], avant que le thème soit repris dans un autre ouvrage[B 23][N 5]. Voici en guise de synthèse, un extrait de l'ouvrage intitulé The logic of scientific discovery[B 24], dans lequel Karl Popper nous livre le concept de falsifiabilité, que l'on traduit aussi par le mot réfutabilité, dans le but de présenter ses propres fondements de l'épistémologie :

ce n'est pas la vérifiabilité, mais la falsifiabilité d'un système qui doit être considérée comme un critère de démarcation. En d'autres termes : Je n'exigerai pas d'un système scientifique qu'il puisse être distingué, une fois pour toutes, dans un sens positif ; mais j'exigerai que sa forme logique soit telle qu'il puisse être distingué, au moyen de tests empiriques, dans un sens négatif : un système scientifique empirique doit pouvoir être réfuté par l'expérience...[T 1]

Si Popper qui s'interroge sur le fondement d'une théorie scientifique préfère à juste titre le terme de falsifiabilité à celui de vérifiabilité, il n'en revendique pas moins la mise en place d'un système de « tests empiriques » permettant de réfuter une production scientifique par l'expérience. Or, cette démarche de ré-expérimentation correspond précisément à ce qui est offert par la pratique d'une « écriture authentifiable » et d'une « lecture immersive » rendue possible par la présence d'un hyperlien à chaque fois que l'on fait référence à une information de terrain.

Comparativement à ce que nous dit Popper au sujet de la « falsifiabilité », voici à présent la règle de « vérifiabilité » wikipédienne telle qu'elle se voit résumée sur une page du projet francophone[S 45] :

La vérifiabilité est l'une des règles essentielles de Wikipédia qui découle du principe de la neutralité de point de vue. Avec l'interdiction de publier des travaux inédits, les règles déterminent ce qui peut ou non être publié dans Wikipédia. Elles doivent être interprétées les unes par rapport aux autres, et il est recommandé aux contributeurs de Wikipédia de bien les connaître et de se les approprier.

Une information ne peut être mentionnée que si les lecteurs peuvent la vérifier, par exemple si elle a déjà été publiée par une source ou référence de qualité. Les contributeurs doivent fournir une telle source pour toutes les informations contestées ou susceptibles de l'être. Dans le cas contraire, elles peuvent être retirées.

La vérifiabilité n'est pas la vérité : nos opinions personnelles sur la nature vraie ou fausse des informations n'ont aucune importance dans Wikipédia. Ce qui est indispensable, c'est que toutes les informations susceptibles d'être contestées, ainsi que toutes les théories, opinions, revendications ou arguments, soient attribués à une source identifiable et vérifiable.

La vérifiabilité wikipédienne, dans un projet qui, pour rappel, n'accorde pas d'autorité aux sources primaires, repose donc sur des sources préalablement « publiées par une source ou référence de qualité ». Elle se distingue donc de la falsifiabilité ou réfutabilité popperienne qui pour sa part repose sur l'« expérience » et le « test empirique », ou autrement dit, sur le contrôle du fait authentique en dehors de tout autre source d'autorité. Ces deux approches se distinguent donc par le fait que celle de Popper est profondément empiriste, alors que celle de Wikipédia est clairement positiviste.

Quant à « l'écriture authentifiable » mise en œuvre dans ce travail de recherche, on aura compris qu'elle se place du côté empiriste, puisqu'elle offre précisément aux lecteurs la possibilité de retourner vers un réel de référence authentique, plutôt que de se contenter d'une reproduction potentiellement falsifiable, dans le but d'y faire soi-même une ré-expérimentation empirique des observations, en vue d'un contrôle ou d'un dépassement des faits énoncés et des argumentations qui en découlent. Conformément aux encouragements de Popper, l'écriture authentifiable restreint donc l'autorité du chercheur et la dimension positive du document qu'il produit, au bénéfice d'une nouvelle autorité située cette fois du côté des lecteurs dont le contrôle et l'esprit critique deviennent garants de la véracité des propos et de la qualité de l'argumentation.

Le premier repositionnement épistémologique produit par l'adoption d'une écriture authentifiable au bénéfice d'une lecture immersive fut l'abandon du « pacte ethnographique »[B 21]. Un pacte selon lequel « seuls les ethnologues se sentent libérés d'expliquer comment ils ont su tirer d'une expérience unique un ensemble de connaissances dont ils demandent à tous d'accepter la validité. »[B 25]. Le deuxième sera de remettre en cause cette affirmation de Jean-Claude Passeron selon laquelle : « la pertinence empirique des énoncés sociologiques ne peuvent être définies que dans une situation de prélèvement de l'information sur le monde qui est celle de l'observation historique, jamais celle de l'expérimentation. »[B 26].

Le régime d'« historicité » des sciences sociales proposé par Passeron vise effectivement à atteindre une vérité différente des sciences dites de la nature[B 26]. Or, dans le cadre bien précis de cette présente recherche, l'observation et le prélèvement d'informations en provenance d'un espace web archivé, accessible publiquement, de manière asynchrone et déspatialisée, font disparaître complètement la contrainte historique mobilisée par Passeron. Si une page Web peut évoluer dans le temps, sa capture au moment même de son observation permet d'expérimenter à nouveau son observation dans des conditions identiques à celles qui auront servi à l'argumentation. Cette argumentation peut ensuite devenir obsolète lors du changement de l'espace numérique, mais n'en restera pas moins valable dans le contexte de son énonciation. Ceci au même titre d'ailleurs que les énoncés des sciences dites exactes qui, eux aussi, deviennent obsolètes lors de la mutation du vivant ou de la modification de l'espace-temps qui pourrait survenir si la terre était absorbée par un trou noir.

Dans le cas spécifique de mon terrain de recherche, je précise donc que briser le pacte ethnographique tel qu'il vient d'être décrit[N 6] à chaque fois que cela me fut possible, ne m’est pas apparu comme une option, mais bien comme un devoir d’authenticité et de transparence guidé par mon honnêteté intellectuelle. Un tel devoir me semble d'autant plus désirable que l'imposture en science existe de tout temps[B 27] comme en témoignent certains best-sellers tels que « La Vie des maîtres »[B 28] de Baird Thomas Spalding, ou encore les ouvrages de Carlos Castañeda traduits en dix-sept langues et vendus à plus de huit millions d'exemplaires selon l'éditeur[S 46] et dont les premiers lui valurent le titre de docteur en anthropologie[B 29], avant d'être qualifié de canular au cours de la décennie suivante[M 7].

Ces deux auteurs ne sont pas le témoignage d'un passé révolu, mais bien d'une imposture intellectuelle toujours bien présente de nos jours[B 30], avec une facilité probablement accrue en sciences sociales comme le démontre le canular[M 8] des « automobilités postmodernes »[B 31]. De ceci découle donc ma démarche de création d'une écriture authentifiable et d'une lecture immersive, mais aussi le désir d'offrir aux sciences sociales une piste pour distinguer clairement la recherche ethnographique de la fiction[B 32][B 33].

 
Fig. 8.3. Les serveurs d'Internet Archive au siège de San Francisco (source : https://w.wiki/$eV)

D'un point de vue pratique, la mise en place d'une écriture authentifiable repose, à chaque fois que c'est possible, sur la fourniture d'un permalien pointant vers la source des informations retenues lors de mes observations et resituées au cœur de mon travail de recherche. Ces permaliens redirigent alors le lecteur vers des pages archivées sur le site du projet Internet Archive[S 47], de telle sorte à garantir la pérennité de leurs accès même en cas de disparition sur le Net, mais ceci en sachant que certaines pages, bien qu'elles soient très rares, ne peuvent pas être archivées par le projet Internet Archive.

Pour les versions imprimées de mon travail de recherche, l'accès aux pages archivées est alors possible soit en accédant à la version en ligne du document grâce au QR code, soit en recopiant l'adresse URL des permaliens dans un navigateur Web pour se rendre sur le site d'Internet Archive. Puisque l'URL des permaliens qui pointent vers Internet Archive terminent toujours par l'URL de la page archivée, il est en effet possible, tant au départ d'un travail imprimé, qu'au départ des pages de site Internet archive, de se rendre sur la version originale des pages web archivées lorsqu'elles existent encore.

Si l'on prend pour exemple un permalien d'une version archivée de la page de présentation de mon travail de recherche sur Wikiversité nous avons alors cette adresse URL « http://web.archive.org/web/20201220231650/https://fr.wikiversity.org/wiki/Recherche:Imagine_un_monde », dont la partie en italique « https://fr.wikiversity.org/wiki/Recherche:Imagine_un_monde » représente alors l'adresse URL qui pointe directement sur la page originale et actuelle située sur Wikiversité. Sur les pages de Wikiversité enfin, ainsi que dans les documents électroniques qui en seront extraits, j'ai enfin pris la peine de « wikifier » certains mots ou groupe de mots de telle sorte à offrir un complément d'information à ceux qui en éprouvent le besoin. Cela veut dire que ces morceaux de phrases apparaissent alors en couleur bleue et que l'on peut cliquer dessus pour avoir accès directement à une autre page situées sur Wikiversité, ou plus souvent dans un autre projet Wikimédia, pour en apprendre d'avantage sur un sujet donné.

Quant à la question de citer mes sources bibliographiques, et conformément à la ligne de conduite des projets de recherche sur Wikiversité, elles seront bien sûr référencées comme il se doit, tandis que je transfère dans ce cas vers les auteurs cités, la responsabilité d'assumer la validité de leurs propos. Au-delà de ces multiples engagements enfin, et conformément à ce qui a déjà été fait dans certains paragraphes précédents, je n'hésiterai pas non plus à placer au cœur de mes écrits certains verbatims ou autres types de citations et données d’enquête en prenant le soin de toujours les compléter d'un hyperlien dès qu'il m'en sera possible. Permettre une lecture immédiate de ce type d'information est évidemment incontournable pour les lecteurs qui ne bénéficieront que d'une version papier de mon travail et permettra de plus et dans certains cas, de fournir la traduction d'un texte avant d'en restituer sa version originale au niveau de mes notes.

Tous ces choix ont bien entendu été largement inspirés par les pratiques rencontrées dans les projets Wikimédia, telles qu'elles furent décrites tout au long de ce travail de recherche, et particulièrement celle du « sourçage des informations » dont un contributeur chevronné[S 48] me disait ceci[S 49] :

[...] tout le travail que suppose le sourçage (recherche de sources (pas seulement sur le net), compréhension du contenu et appréciation de sa qualité, évaluation des référent(e)s de compétence associé(e)s, confrontation des sources, synthèse, etc.) n'apparaît pas dans les historiques de WP. Or, ajouter quelques phrases dans un article de WP prend quelques secondes. Les rédiger est l'affaire de plusieurs minutes (voire moins : copié-collé, bricolage de citations, etc.). Les sourcer convenablement peut prendre des heures. Je comprends dès lors que, ne serait-ce que sur le plan quantitatif, l'exigence du sourçage peut paraître exorbitante à certain(e)s bénévoles. --ContributorQ(✍) 2 décembre 2019 à 20:01 (CET)

Le choix d'adopter une écriture authentifiable fut donc en ce sens un réel investissement. Mais c'est là, me semble-t-il, une des seules manières de faire évoluer des sciences sociales qui profitent de certains privilèges, tels que le pacte ethnographique dont il fut question ou le « monopole des sources »[B 21] décrié par certains, dont les justifications tendent à disparaitre avec la venue des possibilités offertes par le numérique. En opposition à ces habitudes confortables, et très discutables dès lors qu'il est possible de les contourner, offrir un accès direct à ses lieux d'observation en ligne, ou même à d'authentiques documents restituant le réel de référence tel que des photos, vidéo, bande sonores ou autres fichiers numérisés, semble aujourd'hui devenu quelque chose d'incontournable aux vues des facilités offertes par le Web, le smartphone, l'usage du QR code, etc. Voici donc pourquoi j'espère de tout cœur, que ces nouvelles méthodes de recherche, pour lesquelles j'ai dépensé tant d'énergie à expérimenter, pourront inspirer d'autres chercheuses ou chercheurs. Ceci tout en espérant bien sûr que parmi ces personnes, certaines auront la bonne idée de poursuivre, sur Wikiversité ou dans tout autre lieu, l'étude du mouvement Wikimédia telle qu'elle fut entamée par ce premier travail d'exploration et de synthèse.

Un traitement qualitatif du big data

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Faire une étude socio-anthropologique dans l'espace web, au même titre que dans tout autre espace numérique, c'est aujourd'hui se confronter à la nécessité d'un traitement de données massives qu'il est commun aujourd’hui d'appeler le Big data. L'espace numérique Wikimédia ne fait pas exception à cette règle, puisqu'il produit énormément de données quantitatives et qualitatives que l'on peut parcourir avec des outils de recherche de plus en plus perfectionnés, et dont certains offrent des graphiques et même des outils d'analyses statistiques en temps réel paramétrables.

Toutes ces informations sont de plus publiées sous licence CC. BY. SA. Ce qui veut dire que conformément aux termes repris sur le site CC pour Creative Commons[S 32], elles sont libres d'exploitation et de republication, telles quelles, ou dans des travaux dérivés. Ceci sous deux conditions seulement : (1) « créditer l'Œuvre, intégrer un lien vers la licence et indiquer si des modifications ont été effectuées à l'œuvre », (2) « diffuser l'œuvre modifiée dans les mêmes conditions, c'est-à-dire avec la même licence avec laquelle l'œuvre originale a été diffusée »[N 7]. Pouvoir disposer d'une telle quantité d'informations sans devoir se préoccuper d'une autorisation d'accès ou de traitement est donc une réelle aubaine pour un chercheur, mais en contrepartie il fait face à une telle abondance qu'il se voit alors confronté à des problèmes de méthode.

Dans le but de distinguer les particularités d'une information quantitative et qualitative tout en mettant en évidence les liens qui peuvent exister entre elles, il est bon de se rappeler qu'une donnée quantitative, au contraire d'une donnée qualitative, se caractérise par quelque chose de mesurable. Comme exemple trivial, nous avons cette citation de Rosie Stephenson-Goodknight au sujet des éditeurs de Wikipédia : « You can imagine probably 90 percent being men »[M 9], dans laquelle l'information « 90 % » sera d'ordre quantitatif tandis que l'information « homme » sera d'ordre qualitatif.

Il est bon ensuite de garder à l'esprit qu'une donnée quantitative peut devenir la source d'une information qualitative et vice versa. Nous avons pour exemple les 29 entailles présentes sur l'os de Lebombo, le plus ancien bâton de comptage connu à ce jour. Ces marques attestent effectivement d'une part, que les premières manifestations scripturales humaines étaient d'ordre comptable (information qualitative). Ensuite, elles permettent de supposer, en référence au nombre (donnée quantitative), que ces marques furent réalisées par une femme (donnée qualitative) qui aurait comptabilisé les jours de son cycle menstruel[B 34].

Ce simple exemple, parmi tant d'autres, permet alors de penser qu'il serait délicat d'ignorer, ou même de négliger, les données quantitatives présentes sur un terrain ethnographique en considérant que cette approche serait purement qualitative. Car en plus d'être une source potentielle d'informations qualitatives, les données quantitatives sont aussi plus aptes à permettre de formuler des comparaisons objectives que les données qualitatives. Une comparaison qualitative des compétences physiques entre deux personnes peut ainsi se présenter comme un exercice extrêmement subjectif, alors que si cette comparaison repose sur des données quantitatives telles que la taille en centimètre, le poids en kilogramme, ou autres, la tâche devient alors plus facile et le résultat plus objectif.

Durant ce travail de recherche et d'une manière qui plaira sans doute aux amateurs de descriptions denses[B 35], j'ai donc veillé à ne pas oublier de tenir compte des informations quantitatives rencontrées sur mon terrain d'observation. Ce choix me permit notamment de produire une analyse statistique approfondie[M 10] des rapports financiers publiés par la Fondation Wikimédia[S 50]. Grâce à celle-ci, je découvris ainsi que près de 50 % des dons offerts à la Fondation servaient à payer les salaires de ses employés. Ceci alors qu'une source datant de 2009, l'article Wikipédia francophone consacré à la Fondation, affirmait que « près de la moitié des ressources financières [de la Fondation] sont utilisées pour acheter de nouveaux serveurs et payer l'hébergement ».

En regardant de plus près mes données statistiques rapportées dans un graphique de synthèse, je découvris alors que cette source de 2009 était fausse puisque au cours de cette année, 40 % des dons étaient déjà alloués au paiement des salaires, alors que 15 % seulement étaient dédiés aux frais d'hébergement (figure 8.4).

 
Fig. 8.4. Histogramme illustrant l'évolution entre 2004 et 2020 des dépenses de la Fondation Wikimedia en pourcentage du total des dons qu'elle a reçus[N 8]. (source : https://w.wiki/3Y4h)

Ce travail comptable et statistique, aussi rébarbatif qu'il m'est apparu, fut donc nécessaire pour accéder à une réalité cachée de mon terrain d'étude et qui me permit de corriger l'information fausse diffusée dans l'article Wikipédia[S 51]. Au lieu de m'intéresser au rapport financier de la Fondation, j'aurais très bien pu, comme le font en général la plupart des ethnographes, me contenter de recouper l'information trouvée dans l'article Wikipédia par d'autres témoignages. Il y avait d'une part une vidéo du WikiMOOC de 2017 qui renforçait l'idée que « fournir l'infrastructure technique, les serveurs pour le cinquième site Web le plus visité au monde, ce n'est pas gratuit. »[V 3]. Alors que deux ans plus tard, une personne très active au sein du mouvement interviewée en 2019 sur France Inter[V 4] affirmait que sur « 90 millions de budget », « à peu près entre 50 et 60 millions viennent pour les serveurs ».

S'intéresser aux chiffres plutôt que se focaliser uniquement sur le récit des acteurs s'avéra donc être une démarche porteuse de vérité dans le contexte de mon travail ethnographique. Cela m'encouragea pour la suite à tirer profit des nombreux sites de traitements automatiques des données quantitatives produites dans l'espace numérique Wikimédia. Grâce à eux je pouvais accéder de manière objective à certaines réalités du mouvement, tout en étant dispensé de produire moi-même ce traitement d'informations.

Mais il me restait encore à traiter cette gigantesque quantité de textes accessibles depuis les nombreux lieux de discussion disséminés dans l'espace numérique du mouvement. Je parle ici des nombreux forums, pages de discussion, de prises de décisions, espaces blog, journaux, info-lettres, listes de diffusion, et autres espaces d'écriture qui formaient un véritable big data textuel au cœur de mon terrain d'observation. Ce qui me plaçait finalement dans une situation similaire à celle d'Olivier Servais, cet ethnographe du monde virtuel Warcraft, qui en était arrivé à produire cette réflexion suivante[B 36] :

C’est un peu comme se trouver dans un café du commerce bondé où on ne peut saisir l’entièreté de ce qui se dit, de ce qui se joue. On peut mettre en place un dispositif technique pour enregistrer tout ce qui se dit, se fait dans cette pièce et être confronté à ce big data. Reste qu’ici c’est l’essence même du terrain, il produit par lui-même des datas massives, et il est souvent impossible de pré-sélectionner avant analyse. Face à cette menace de noyade par le texte, l’anthropologue doit apprendre de nouvelles stratégies de terrain et de traitement des données. Or, la démarche d’ethnographe demeure avant tout de nature foncièrement compréhensive, et conséquemment qualitative. Comment dès lors concilier cette gestion de données massives avec une ambition qualitative ? Comment faire du big data textuel qualitatif dans ce contexte numérique ?

Une partie de réponse à ce questionnement fut donc apportée précédemment en expliquant qu'une approche quantitative peut, elle aussi, avoir une nature foncièrement compréhensive, mais sans résoudre la question du big data textuel dans son ensemble. Et il me falait donc trouver de nouvelles stratégies. L'une d'entre elles consiste à répondre à l'angoisse d'aboutir à une vision partielle et potentiellement fausse de son terrain d'étude en faisant l'impasse sur certains corpus. Alors que d'un autre côté, il n'est pas du tout évident de se lancer dans un traitement automatique et informatisé du langage naturel dans le but de traiter la moindre conversation. En plus des compétences intellectuelles que cela demande, il faut effectivement encore y ajouter le temps d'investigation et la puissance du traitement informatique, tout ceci en faisant l'impasse du « panorama contextuel » dont l'importance fut soulignée par Olivier Servais[B 36].

Après plusieurs années de tâtonnement, j'en suis finalement venu à établir une sorte de compromis reposant sur un processus d'aller-retour entre une suite d'investigations tantôt ethnographiques et tantôt automatisées. Autrement dit, par moments, je me suis attelé à un traitement informatique et statistique des données textuelles utiles à mon observation participante, alors qu'à d'autres moments j'ai poursuivi mes observations de terrain en consultant de nombreuses discussions informelles ou en participant à de nouvelles, de telle sorte qu'au retour de ces expériences, je pouvais alors orienter mes choix dans mes traitements informatiques, et ainsi de suite. Outre le fait de mobiliser les deux approches, cette méthode m’apporta aussi cet autre avantage de m'offrir un recul régulier par rapport à mes observations de terrain et des pauses fréquentes dans mes traitements informatiques.

Voici donc un exemple en guise d'illustration. Il se fonde sur l'observation de la plus importante des 300 listes de diffusion produites et gérées par le mouvement Wikimédia. Tous les échanges de courriels au sein de ces listes sont archivés mois par mois, historicisés et rendus librement disponibles sous licence CC.BY.SA au niveau du site Wikimédia Mailservicies[S 52]. À partir des archives de la liste de diffusion intitulée « Wikimedia-l »[S 53], réputée comme espace de discussion central de la communauté wikimédienne au sens large[S 54], il me fut ainsi possible de constituer un corpus et de le soumettre à une analyse textométrique à l'aide du logiciel de traitement automatique du langage naturel intitulé TXM.

Ce programme me permit par exemple de découvrir suite à une simple requête lexicale, que le mot « the » apparaissant en premier par ordre de fréquence avec 1 869 554 occurrences, était suivi du signe « @ » qui en avait 879 105 et du mot « gmail » apparu 877 346 fois. Cette simple requête me permettait donc déjà de découvrir qu'une toute grande majorité des personnes inscrites à cette liste de diffusion l'avait fait au départ d'un compte Google. En poursuivant l'analyse des occurrences je découvris alors que les premiers prénoms qui apparaissent dans cette liste étaient « Gerard » (27 888 fois), suivi de « Erik » (21 924 fois) et de David (20 624 fois).

En peaufinant encore un peu plus, je découvris que le prénom « Gérard » était associé à la personne de « Gerard Meijssen » (11 096) dont l'identité fait partie des entrées de Wikidata[S 55] et à celle de « David Gerard » (12 717) qui possède une page d'utilisateur très détaillée sur le projet Wikipédia[S 56]. Le prénom « Erik » pour sa part, était principalement associé à la personne d'« Erik Moeller » (8 616) qui fait l'objet d'un article dans Wikipédia[S 57]. Grâce à ce traitement basique, j'avais donc déjà réussi dans un premier temps, à repérer les personnes les plus actives au sein de cette liste de diffusion, et dans un second temps à découvrir leurs profils et même leur adresse de courrier électronique si jamais il me semblait utile de les contacter.

Au départ de fonctions plus poussées, TXM offre aussi la possibilité de produire des graphiques qui permettent de visualiser l'évolution de la fréquence d'un mot dans le temps et au départ d'un corpus conversationnel. En utilisant le mot « harassement » (harcèlement en français) j'ai donc pu visualiser dans le temps le nombre de fois que le mot apparaissait dans la liste de diffusion Wikimedia-I. J'ai donc pu constater que la question du harcèlement était apparue relativement tôt au sein du mouvement et qu'elle revenait régulièrement à la surface des conversations de manière périodique. Ensuite et grâce à cette échelle de temps, il est alors plus facile de retrouver dans les historiques des espaces de discussion durant les périodes indiquées. Mais lorsqu'un corpus est déjà compilé, comme ce fut le cas de toutes les archives de la liste de discussion en question, le mieux, en matière de rapidité, est alors de mobiliser une autre fonction du logiciel TXM, qui permet de partir à la découverte de toutes les concordances du mot « harassement » au sein du corpus. De manière concrète, cela permet alors d'afficher la liste complète des portions de textes qui précèdent et succèdent au mot harassment (figure 8.5), de sorte à pouvoir resituer le contexte dans lequel est employée l'expression et d'en identifier les utilisateurs dans le but de poursuivre une éventuelle lecture plus attentive ou de contacter les auteurs en cas de question.

 
Fig. 8.5. Graphique illustrant la recherche en plein texte par concordance du mot « harassment » dans le corpus tiré de la liste de diffusion archivewikimedia-l (source : https://w.wiki/4qa9).

De retour sur le terrain, il est alors possible de porter davantage d'attention sur la question du harcèlement afin d'illustrer le phénomène dans le but d'en faciliter la compréhension. Je pouvais alors le faire en faisant référence à mon propre vécu dans un style autoethnographique, ou alors en faisant référence à d'autres témoignages très documentés publiés par une contributrice francophone[S 58]. D'autres analyses textométriques plus poussées[M 11] et basées cette fois sur de nouveaux corpus formés au départ des espaces de discussion sélectionnés filtrés en fonction de l'activité de l'utilisatrice, pouvaient ensuite me permettre de comparer son discours avec les faits réels retrouvés dans les archives de Web.

Faire une recherche ethnographique dans un espace du Web producteur d'un big data textuel et numérique, demande donc la mobilisation de pratiques et de compétences qui ne sont pas forcément transmises lorsque l'on apprend à réaliser des ethnographies traditionnelles hors-ligne. En général, tous ces apprentissages ne font d'ailleurs pas partie du cursus universitaire en sciences sociales, et peut-être moins encore lorsque l'on s'oriente vers l'anthropologie. Il faut donc les apprendre par soi-même, et souvent au sein d'autres disciplines telles que l'informatique ou la linguistique, alors que celles-ci n'adhèrent pas forcément à vos questions de recherche ni à vos méthodes périphériques. Autant de raisons pour lesquelles en fait, je n'ai finalement jamais réussi à fournir ce que l'on attendait de moi dans le cadre du travail de clôture du cours de traitement automatique du langage naturel dispensé par la faculté de philosophie, art et lettres de mon université et principalement fréquenté par des linguistes[S 59].

Ensuite, et à moins que l'on ne force la situation, un terrain d'étude accessible via le Net se différencie aussi du terrain hors-ligne par le fait qu'il reste toujours proche de vous, y compris tout au long de votre travail d'écriture. Plutôt que de m'en plaindre en me souvenant que pour Claude Levis-Strauss : « la méthode propre de l'anthropologie se définit par cette " distanciation " »[B 37], il m'a semblé plus intéressant d'en tirer profit. Car grâce à la proximité de mon terrain d'étude tout au long de mon travail d'écriture, j'en suis venu à établir un dialogue avec les acteurs de terrain au sujet de ce que j'étais en train d'écrire sur eux et sur les projets et environnements d'éditions dont bon nombre d'entre eux avaient expérimenté plus que moi.

Un travail de recherche dialogique

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Après avoir décidé d'écrire le résultat de mes recherches au sein même de mon terrain d'étude et sous les yeux des personnes qui y sont actives, il m'est donc venu à l'esprit de les inviter à relire et à commenter mes écrits selon une procédure peu courante en sciences sociales. Comparée à d'autres types d'« écritures anthropologiques »[B 38], l'écriture de cette thèse ne doit pas être assimilée aux « écritures plurielles » dans lesquelles on se met à « écrire avec »[B 39] mais bien à une écriture collaborative et dialogique dans laquelle je favorise la collaboration avec les acteurs de terrain dans le but de confronter mon point de vue « etic » de chercheur aux points de vue « emic » des acteurs[B 21].

 
Fig. 8.6. Photo prise lors d'un dialogue tenu avec l'ancienne directrice de la Fondation Wikimedia Katherine Maher lors de la conférence WikiIndaba de 2018 à Tunis (source : https://w.wiki/3GZ2)

Il est en effet coutume au sein du mouvement Wikimédia et dans le projet Wikipédia notamment, d'entamer une discussion dès qu'il y a divergences d'opinions entre deux contributeurs travaillant sur un même sujet. Traditionnellement ces échanges se déroulent sur des pages de discussion annexées à chaque page web des sites Wikimédia reposant sur le logiciel MediaWiki,et auxquelles on peut directement accéder en cliquant sur l'onglet « Discussion » présent en haut de chaque page de contenu. Puisque les pages Web sur lesquelles je rédige cette thèse de doctorat possèdent aussi chacune une page de discussion de ce type, j'ai donc eu l'idée d'en profiter pour y inviter les membres du mouvement à débattre au sujet de ce que j'écrivais à leur sujet et au sujet de ce qui les entoure. Ces discussions furent ainsi établies sur une page de discussion principale[S 60] qui porte sur l'ensemble de mon travail et qui est équipée d'un système de discussions structurées afin de faciliter les échanges avec ceux qui ne connaissent pas l'usage du wikicode. Tandis que parallèlement à cela, chaque chapitre possède sa propre pages de discussion, éditables en wikicode cette fois.

Profitant de tout ceci, j'ai donc incité les acteurs du mouvement à entrer en dialogue au sujet de ma recherche, en postant régulièrement des messages d'invitation sur les principaux espaces de type forum disponibles au sein du mouvement Wikimédia. Ces démarches n'ont pas forcément abouti à un nombre exceptionnel d'échanges, mais aura par contre engendré un nombre important de consultations, puisque la page de présentation de ma thèse sur Wikiversité fut visitée au total 8404 fois entre le dix octobre 2019 et le treize mai 2022, avec donc une moyenne de 9 visites par jour avec des pics journaliers pouvant atteindre 150 visites[S 61]. Pour peu que l'on adhère à cet adage bien connu « Qui ne dit mot consent ! » la faible quantité de discussions apparues par rapport à la relativement grande fréquentation des pages a donc un côté plutôt rassurant. Comme nous allons le voir avec cette conversation titrée « Avis de travail en cours »[S 62] reprise ci-dessous et tiré du forum principal de Wikipédia en français appelé « le bistro », certaines discussions au sujet de ma thèse se sont aussi déroulées en dehors du projet Wikiversité.

Bonjour,

J'ai entamé la rédaction d'une thèse de doctorat publiée sur Wikiversité et portant sur le mouvement Wikimédia. Le premier chapitre de ce travail consacré à la méthodologie est actuellement prêt à être relu par les personnes actives au sein du mouvement. La mise en forme du texte n'est pas terminée et l'orthographe doit y être déplorable, mais j'aimerais le soumettre à réaction avant un prochain rendez-vous avec mon comité d'accompagnement dans le cadre d'une épreuve de confirmation. J'invite donc toutes les personnes intéressées à réagir librement sur la page de discussion consacrée au chapitre. Si le cœur vous en dit, vous pouvez aussi corriger l'une ou l'autre faute d'orthographe durant votre lecture. Je vous en serais très reconnaissant. En vous remerciant d'avance et vous souhaitant une belle journée à tous. Bien cordialement, Lionel Scheepmans Contact Désolé pour ma dysorthographie, dyslexie et "dys"traction. 31 mai 2019 à 01:43 (CEST)

Intéressant, mais, à part l'orthographe, qui écrit la thèse, le doctorant ou la communauté Wikipédia ? – Siren – 31 mai 2019 à 14:12 (CEST)

Bonjour Siren, Pour répondre à la question: Au niveau des mots et des phrases, c'est le doctorant. Au niveau de la connaissance et des idées, c'est le doctorant et la communauté, celle de Wikipédia mais aussi celles de tous les projets soutenus par la Fondation. Si la question est posée, c'est sans doute que les choses ne sont pas assez claires. Je vais donc tenter de reformuler les choses de façon plus explicite. D'ailleurs cette présente interaction entre nous illustre déjà en partie l'idée d'une construction dialogique de la connaissance. Dans le cadre de mon doctorat, elle ne peut malheureusement pas être similaire à ce qui se passe sur Wikipédia. Ce travail débouche sur un diplôme, et dans le monde académique qui m'entoure, pour se voir attribuer le titre de docteur, il faut défendre seul une thèse réalisée en solo. Ceci dit Jimbo Wales a reçu de mon université le titre de docteur honoris causa, sans avoir écrit aucune thèse. Donc voilà, il y a bien d'autres personnes encore qui en savent bien plus que moi sur le mouvement Wikimédia et ce serait donc idiot et présomptueux de ma part de ne pas les inviter à entrer en dialogue autour de l'écriture de ma thèse. Déjà un grand merci pour les corrections orthographiques et une belle fin de journée ! Lionel Scheepmans Contact Désolé pour ma dysorthographie, dyslexie et "dys"traction. 31 mai 2019 à 23:45 (CEST)

Ouaaah, je vais faire un tour par désœuvrement sur cette page, et chtonk ! scotch. Absolument passionnant, ce truc, je recommande fortement la lecture ! Alors, évidemment, comme toutes les thèses dans un domaine pas mien, c'est tellement concentré que pour mon pauvre esprit va falloir un tit moment pour tout absorber, mais déjà des réflexions fusent.

Par exemple j'adore l'idée de base que l'objet de recherche, ancré dans la vraie de vraie réalité, met en forme les méthodologies et pas le contraire, ce qui est pourtant normalement ce qu'on nous enseigne. Je suis bien d'accord pourtant, nos tendances à déterminer des cadres stricts, bien léchés, universels, etc. ça vient d'une époque (disons depuis le XVIIIᵉ) où on va favoriser la création de catégories avant même de mettre des objets dedans, une volonté de tout régenter, en quelque sorte, de tout classer et universaliser, de produire des cadres vides. Très Newtonien. Peut-être lié à l'ensemble des représentations du temps (le milieu temporel), chais pas.

J'aime aussi, intuitivement, la réflexion sur l'imaginaire et sa force de construction ! Un dernier point sur le premier chapitre (je vois qu'il y a eu plein d'ajouts), il est dit que les sciences sociales ne prétendent pas à définir un ensemble de paramètres absolus qui rendent les expériences reproductibles, contrairement aux sciences autres, dites dures. Mais à mon avis, dans les autres sciences non plus. On y prétend, on prétend faire reproductible, mais c'est juste un outil utile. Les paramètres y sont soumis aux mêmes différences, simplement les sciences dures tendent aussi à des applications et donc veulent être opérationnelles. Un peu comme si on faisait un raisonnement en coupant le chemin à faire en petites étapes (comme Descartes) pour atteindre le but, mais qu'on est bien conscient que le chemin en tant que tel n'existe pas, c'est nous qui l'avons créé pour résoudre le problème.--Dil 31 mai 2019 à 23:57 (CEST)

Merci pour ce retour encourageant Dil ! Lionel Scheepmans Contact Désolé pour ma dysorthographie, dyslexie et "dys"traction. 2 juin 2019 à 01:42 (CEST)

Ce petit échange parmi bien d'autres me fut très précieux pour savoir si ma démarche était bien comprise par toutes et tous tout en me rassurant sur le fait que mes analyses et argumentations tenaient aux vues des critiques des acteurs de mon terrain d'étude. Cela me permit ensuite, et ce fut là un véritable cadeau en ce qui me concerne, à certains relecteurs de mes travaux, de corriger les nombreuses erreurs syntaxiques, typographiques ou orthographiques qu'ils y trouvaient. Certaines lectures furent même si attentives, qu'une personne en arriva un jour à corriger une erreur d'encodage située dans l'un de mes tableaux d'analyse des finances de la Fondation Wikimédia[S 63]. Je profite donc encore une fois de l'occasion pour dire que je ne serai jamais assez reconnaissant pour toute cette l'aide que la communauté Wikimédia m'a apportée sous forme de dialogues ou de corrections.

Pour la suite, il me reste aussi à signaler que Mondher Kilani parlait déjà d'écriture dialogique dans le courant des années nonante, lorsqu'il citait pour exemple les écrits de Philippe Descola[B 40], de Jeanne Favret-Saada[B 41], et les siens[B 42], dans un autre ouvrage où il décrivait sa propre expérience de la sorte[B 7] :

Mon texte n'est pas l'évocation d'une expérience subjective irréductible. Il est autant le produit d'une "vérité" négociée avec les oasiens qu'une construction explicitement adressée à un public lointain pour lequel je reconstruis les différents contextes de cette négociation.

De son côté, Frédéric Laugrand a mis au point une autre démarche dialogique, en proposant des ateliers de transmission intergénérationnelle des savoirs (ATIS). Ceux-ci visent à construire de manière collaborative un savoir entre des chercheurs et acteurs participants dans une dynamique de transmission à destination des jeunes par le « faire comme si », avec pour objectif final de produire des documents sous forme de verbatims ultimement validés par les participants[B 43]. Cependant, ma propre expérience ne pourrait être assimilée à ce type de production de savoir collectif, ni même être comparable à « une écriture dialogique plaçant le témoignage personnel et la voix des autres au centre du récit anthropologique »[B 44] telle que celle décrite par Kilani. Ce à quoi elle ressemble en fait, c'est plutôt à l'expérience de Tom Boellstorf, qui au cours de son ethnographie de Second Life, organisait des groupes de discussion au sein de sa maison virtuelle baptisée « Ethnographia »[B 45].

Mais avant de pouvoir profiter pleinement de ce type de dispositif dialogique, encore fallait-il que je sois capable de maîtriser un minimum le langage de mes interlocuteurs. Joseph-Marie de Gérando, l'un des précurseurs de l'anthropologie moderne, n'écrivait-il pas dans le journal de la société des observateurs de l'homme que « Le premier moyen pour bien connaître les Sauvages [expression commune à cette époque], est de devenir en quelque sorte comme l'un d'entre eux ; et c'est en apprenant leur langue que l'on deviendra leur concitoyen. »[B 46] Dans le cadre du mouvement Wikimédia, il ne s'agira bien sûr pas d’appendre les plus de 300 langues pratiquées par sa communauté, mais certainement d'acquérir une maîtrise suffisante de l'anglais qui s'est imposé comme lingua franca du mouvement au même titre que nombres autres organisations internationales.

De manière plus laborieuse ensuite, il me fallut aussi apprendre certains langages informatiques indispensables à une profonde compréhension de l'environnement numérique Wikimédia. Le wikicode fut le premier d'entre eux et son apprentissage fort heureusement ne constitua pas un obstacle insurmontable, bien qu'il nécessite tout de même un certain temps d'assimilation. Malheureusement, dans les débats techniquement plus poussés, ce premier acquis apparut rapidement insuffisant pour prétendre à une pleine compréhension des enjeux. Pour ces raisons, j'ai alors pris la peine de m'initier aux principaux langages informatiques utilisés au sein du mouvement que sont l'HTML, le CSS, le JavaScript et le PHP. Sans pour autant en acquérir la maîtrise, cela me permit de comprendre que chaque langage informatique a son propre vocabulaire et sa propre grammaire, dans lesquels se véhiculent, au même titre que les langages naturels, un imaginaire singulier et une façon propre de percevoir son environnement.

Toutes ces dispositions propices aux dialogues m'ont donc permis d'établir de nombreux échanges écrits et verbaux avec les membres de la communauté Wikimédia grâce auxquels j'ai pu mieux appréhender l'univers Wikimédia, tout en récoltant des avis au sujet de mes travaux de recherches. C'est là une démarche qui contraste avec cette habitude rencontrée dans le milieu universitaire qui consiste à informer ses collègues de ses écrits seulement après publication. J'ai reçu ainsi un jour un courriel de Mondher Kilani qui me faisait part d'un article qui analysait la crise Covid-19 de manière très intéressante. Malencontreusement, j'y ai trouvé une erreur d'interprétation du terme « Bullshit Job » utilisé par David Graeber[B 47] dont je me suis empressé de lui faire part, mais sans doute trop tard puisque l'article avait déjà publié sur le Web en version PDF[B 48]. À l'inverse de cette expérience, tous les échanges et relectures suscités dans le cadre de mes travaux d'écriture ont été faites avant la publication finale de mon manuscrit. Cela me permit bien évidemment de rectifier certaines erreurs et même de changer de point de vue sur certains sujets, mais la chose la plus intéressante sans nul doute, fut l'apparition d'une nouvelle forme d'ethnographique durant laquelle j'ai pu m'observer moi-même en train d'observer et d'être observé par les acteurs de mon terrain d'étude dans une sorte de processus à la fois itératif et réflexif, aboutissant à une sorte de mise en abîme que je finis par appeler « pratique ethnographique récursive ».

Une pratique ethnographique récursive

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Pour expliquer cette nouvelle pratique ethnographique que je qualifie de récursive, nous pouvons repartir de la discussion de bistro reprise en citation dans la précédente section de ce chapitre. On y voit qu'en faisant appel à une relecture de mes travaux, j'ai suscité l'apparition d'un nouvel évènement qui sera devenu l'objet d'un nouveau compte rendu ethnographique. De manière récursive, ce complément d'écriture peut ensuite être sujet à de nouveaux commentaires, et donc de nouveaux évènements qui pourront éventuellement compléter mes travaux d'écriture. On observe donc dans ce va-et-vient un processus d'« itération concrète » et d'« itération abstraite » tel que formulé par Olivier de Sardant[B 21], mais qui prend une nouvelle dimension réflexive, puisqu'en plus d'agir entre informateurs, information et problématique, il s'agit aussi de s'observer et se décrire soi-même tel que l'on se voit et ici plus précisément tel que l'on se relit sur son terrain d'étude (Figure 8.7).

 
Fig. 8.7. Dessin récursif d'une femme qui se dessine en train de dessiner la situation dans laquelle elle se trouve à l'instant présent où elle se dessine. (source : https://w.wiki/$eu)

J'aurais aimé intituler cette nouvelle pratique l'« ethnographie récursive » mais l'expression fut déjà utilisée par Amiria Salmond dans le cadre d'une réflexion ontologique au sujet d'un projet de numérisation de trésors tangibles et intangibles de la culture Maori intitulé taonga. Pour cette autrice, l'approche récursive « cherche à explorer comment l'analyse est façonnée en fonction de la manière dont les objets d'étude arrivent à générer une attention ethnographique »[B 49]. L'ethnographie récursive selon Salmon représente donc « une simple observation de la configuration ethnographique »[B 50], alors que ma propre expérience ethnographique s'apparente plutôt à une mise en abîme. Afin d'éviter toute confusion et par respect d'un travail intellectuel antécédent au mien, je prends donc le soin de distinguer l'expression « ethnographie récursive » introduite par Salmond, à celle de « pratique ethnographique récursive » que j'emploierais pour intituler ma propre expérience.

Un autre exemple de cette mise en abîme ethnographique apparaîtra au sein de mes recherches lorsqu'il m'est venu l'idée de réécrire l'article Wikipédia traitant du mouvement Wikimédia[S 64] pour ensuite importer mon travail au sein de ma thèse de doctorat[N 9]. Avant son importation, j'avais pris la peine de proposer l'article au label de bon article[S 65] dans le cadre d'un processus d'évaluation établi par les éditeurs de Wikipédia. Son évaluation se sera déroulée sur une page de discussion associée à l'article et aura duré 15 jours (du 6 au 20 février 2020). Elle fut l'occasion pour les participants de partager leurs avis et de justifier leurs votes[S 66].

Bien que la candidature ait été rejetée[N 10], l'évènement aura considérablement augmenté l'audience de l'article[S 67] et de sa page de discussion[S 68]. Pourtant, cette dernière n'aura fait l'objet que d'une dizaine d'échanges entre les contributeurs et moi-même portant respectivement sur la candidature prématurée de l'article, sur la présence de nombreuses fautes d'orthographe, et surtout sur la quantité disproportionnée de sources primaires au vu de ce que l'on attend d'un article Wikipédia[S 69]. Ces discussions constituèrent ainsi un matériel ethnographique précieux que je repris dans l'écriture de ma thèse qui par la suite et selon le processus dialogique précédemment décrit, fera l'objet d'un appel à discussion qui fournira peut-être à son tour de nouvelles observations ethnographiques qui pourront être potentiellement reprises dans mon travail d'écriture et ainsi de suite.

En plus de produire de nouvelles observations ethnographiques, cette pratique récursive a aussi pour avantage de limiter des risques apparentés à ce que les études sur la subalternité identifient comme « violence épistémique » au sein de laquelle les chercheurs « ne tolèrent pas les épistémologies alternatives et prétendent nier l'altérité et la subjectivité des Autres »[B 51], les acteurs du mouvement Wikipédia dans notre cas de figure. Sous une autre forme, cette violence peut aussi apparaître dans les questions posées par un chercheur ou lorsque ce dernier aborde des sujets qui ne sont pas souhaités[B 52], ou encore lorsqu'il n'offre pas l'opportunité aux acteurs de son terrain d'études de discuter de ses hypothèses.

Grâce au processus dialogique que j'avais pris le soin de mettre en place et à la pratique ethnographique récursive qui en découla, cette situation fut précisément évitée lorsqu'une bénévole du mouvement Wikimédia me fit part de son désaccord sur la page de discussion du cinquième chapitre de ce travail. Attirée par une invitation à la relecture du chapitre laissé sur le bistro de Wikipédia qui fut déposée juste après avoir notifié les personnes que j'avais citées, elle me fit part aussi de ce ressenti tout à propos[S 70] :

Il me semble qu’il y a dans cette posture de recherche sur l’objet "recherché" un problème éthique puisque le chercheur dans ce cadre n’analyse pas l’impact de ses activités de recherches sur la communauté bénévole (et le temps qu’il lui fait perdre). De plus, ma grande déception a été de constater que bien qu’il [un chercheur dont elle ne cite pas le nom] ai indiqué partager nombre de mes préoccupations philosophiques, rien n’en transparaissait dans son travail final. Il y avait là une certaine hypocrisie, ou un manque de courage je ne sais, mais je ne me suis pas sentie respectée, ayant eu l’impression d’être examinée comme une bête de foire, avec des conclusions au final erronées, parce qu’il n’avait pas même discuté et soumis ses hypothèses de travail, tout en examinant de façon intrusive l’écosystème qui est une partie importante de ma vie de wikipédienne.

Il m’apparaît donc important en tant que chercheur d'éviter autant que possible que ce type de violence apparaisse dans mes pratiques, et que si par malheur cela arrivait, il y aurait alors des dispositifs qui en permettraient alors la détection et la rectification. C'est pourquoi, j'ai pris la peine de notifier toutes les personnes citées dans mon travail d'écriture pour qu'elles puissent réagir aux propos qui les concernent. Et pour respecter le souhait d'anonymat des personnes actives sous le couvert d'un pseudonyme, j'ai ensuite pris la peine de ne jamais relier ces pseudonymes à une identité réelle dès lors que cela n'a jamais été fait précédemment au sein des projets. À nouveau, la relecture de mon travail par les personnes concernées leur permettra de réagir en cas de besoin.

Il serait malhonnête enfin de cacher que toutes les pratiques innovantes qui viennent d'être présentées apportent aussi malheureusement leur lot d'inconvénients. Tout d'abord, cela nécessite des compétences techniques plus élaborées et plus de temps d'investigation par rapport à la rédaction isolée d'un travail ethnographique avec un logiciel de traitement de texte. Ensuite, ce genre de pratique donne toujours envie d'aller plus loin dans l'utilisation du potentiel offert par le numérique, mais avec le risque non négligeable de s'éloigner des attentes, habitudes, voire préjugés du milieu universitaire qui sera ultimement chargé d'évaluer le travail accompli et la manière dont il fut réalisé. Et puis enfin, il faut aussi au bout du compte se prémunir des risques de déformation de la réalité par l'imaginaire des acteurs qui pourraient influencer d'une mauvaise manière les perceptions premières, ou bonnes intuitions du chercheur, raison pour laquelle il me semble aussi important de baser son étude sur des faits et pas uniquement des paroles.

Une induction qualitative basée sur les faits aussi bien que la parole

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L'hypoitético-déduction et l'hypotético-induction sont deux méthodes couramment utilisées en sciences sociales. La première débute souvent par une question de départ, comme guide à la sélection de modèles, d'hypothèses et de concepts. Ceux-ci sont ensuite articulés en dimensions et composants dans le but de les vérifier ou infirmer à l'aide d'un ensemble d'indicateurs. La seconde méthode au contraire, fait le trajet inverse et commence par une observation pour ensuite seulement produire des indicateurs empiriques qui permettront de construire ou de récupérer des concepts, hypothèses, dans le but éventuel de produire ou de confirmer un ou plusieurs modèles théoriques[B 53].

Par tradition peut-être, ou en raison de son histoire et de certaines convictions partagées, la méthode inductive fut celle choisie par les anthropologues. Elle fut aussi mon propre choix influencé très certainement par mon environnement de travail mais aussi, comme cela sera bientôt discuté, en raison de nombreux biais cognitifs possibles qui peuvent se développer lorsque l'on commence son travail de recherche en se basant sur des concepts, hypothèses ou modèles théoriques, aussi savants ou inébranlables qu'ils puissent être.

Dans le cadre de cette étude inductive, il est donc fort probable que certains lecteurs soient en manque d'un chapitre entièrement consacré à la problématique du lien entre mon terrain de recherche et les ressources théoriques adéquates pour son étude[B 53]. Cependant, ces ressources théoriques sont bel et bien présentes dans cet ouvrage comme en témoignera d'ailleurs une imposante bibliographie. Mais plutôt que d'être concentrées dans un seul chapitre, celles-ci sont disséminées tout au long du texte au fur et à mesure que je développe mon argumentation. Cette argumentation sera donc inductive et basée sur une certaine « rigueur du qualitatif » défendue par Olivier de Sardan et articulée autour d'« indicateurs qualitatifs » qu'il intitule lui-même « descripteurs » en les définissant de la sorte[B 21] :

Chaque enquête produit ses propres descripteurs : déterminer des thèmes de " séquence de vie " à recueillir, mener des enquêtes systématiques sur la sémiologie populaire, organiser une série précise d'observations ciblées, se focaliser sur quelques acteurs-clés éminents ou obscurs, faire un panorama approfondi des associations existantes, choisir des conflits significatifs… Dans les études comparatives multi-site, de plus en plus nombreuses, la construction de descripteurs communs est par ailleurs indispensable pour permettre une certaine homogénéité des données produites, et assurer ainsi leur comparabilité.

 
Fig. 8.8. Auto portrait d'une personne faite au départ de son ombre dont les proportions anatomiques sont déformées (source :https://w.wiki/3GZS)

C'est donc sur la base d'un ensemble de descripteurs très variés, produits à partir d’informations authentiques, que repose l'architecture de ce travail de recherche. Parmi ces indicateurs se trouvent certains témoignages sous forme de verbatims, de vidéos ou encore d'enregistrements sonores récoltés au sein des archives du mouvement. Cependant, il m'est toujours apparu discutable de se baser uniquement sur le discours de certains acteurs pour se faire une représentation fiable de la réalité. L'histoire de la socio-anthropologie nous a en effet démontré que les dires des acteurs de terrain pouvaient dans certains cas contenir de graves omissions voire des erreurs flagrantes par rapport à une réalité qu'il est parfois difficile de verbaliser ou qui ne semble par répondre aux attentes du chercheur.

Parmi les exemples les plus connus figurent les travaux de Marcel Griaule en pays Dogon, et notamment son ouvrage intitulé Dieu d'eau : entretiens avec Ogotemmeli[B 54] contesté par la suite par Wouter Eildert Albert van Beek[B 55] qui s'étonna entre autres que « la trajectoire initiatique de Griaule n'a jamais été mise en parallèle ou même approchée par aucun de ses élèves »[T 2] alors que « la variation culturelle interne entre les Dogons peut être un facteur des inévitables styles et interprétations personnels »[B 55]. Comme autre exemple dans le milieu anglophone cette fois, on trouve « mythe anthropologique »[B 56] que certain voient dans les travaux de Margaret Mead publiés dans son ouvrage Coming of age in Samoa[B 57]. Critiqués à maintes reprises, les résultats de cette recherche auront eux aussi été remis en cause par Serve Tcherkésoff cette fois lors d'une enquête subséquente qui permit d'apprendre que la chercheuse « habitait au poste américain de l'île et conduisait des entretiens, par interprètes, avec une cinquantaine de jeunes filles »[B 58].

Ces deux controverses anthropologiques, ajoutées à ma propre découverte du mensonge perpétué depuis 2009 sur la destination des dons offerts au mouvement, suscitent donc une réflexion quant à la validité des informations recueillies lors d'entretiens individuels. Si l'on veut distinguer la pure réalité de sa reconstruction et de sa représentation dans l'esprit des acteurs[B 59], il est donc indispensable de prendre ses distances par rapport aux discours rapportés, tout en continuant ses recherches à partir d'autres descripteurs, plus fiables et plus proches de la réalité objective.

Les travaux de recherche de Thierry Boissière concernant un terrain exposé à des conflits armés sont une belle illustration de ce problème. Cet anthropologue se voit effectivement obligé de pratiquer ce qu'il appelle lui-même une « socio-anthropologie à distance » parmi des « informateurs skype » dont les propos sont parfois difficiles à vérifier ou à recouper[B 60]. Une situation tout à fait à l'antipode de ma propre expérience, puisque de mon côté, il m'est loisible d'observer librement, en temps réel ou de manière asynchrone, clic par clic, l'archivage presque complet de tout ce qui se passe dans la partie numérique de mon terrain d'observation. D'un côté figure donc l'expérience de Thierry Boissière qui n'a d'autre choix que de s'exposer aux risques du « syndrome narratif »[B 61] et du « reflet déformé du réel »[B 62] pour ensuite recouper autant qu'il peut les informations récoltées avec d'autres sources telles que les communiqués de presse et les réseaux sociaux. De l'autre, se trouve ensuite ma propre expérience d'un terrain que l'on pourrait presque qualifier d'holoptique tant il m'est loisible d'accéder directement à l'ensemble de ce qui est réel sans nécessité de collecter des informations au travers d'entretiens individuels ou collectifs.

Ceci étant dit, il va de soi que récolter le point de vue des acteurs autant que les mythes qu'ils véhiculent, reste une tâche tout à fait essentielle puisqu'elle permet d'accéder à l'imaginaire des communautés que l'on étudie. Cet aspect très important ne fut donc pas mis de côté dans le cadre de cette étude. Solliciter les acteurs de terrain au travers de sondages est enfin une autre démarche très utile pour produire des indicateurs statistiques représentatifs. Par chance, il me fut possible à ce niveau, de récupérer les travaux d'enquêtes précédemment réalisés par la Fondation Wikimedia ou certains centres de recherche commandités.

Ces enquêtes et sondages ne sont pas pour autant une panacée, puisqu'il s'agit d'un travail de sous-traitance au niveau de la récolte des données de terrain. Même si c'est une pratique courante dans le cadre de grandes enquêtes ou sondage, il n'est pas interdit pour autant de se questionner quant à la validité des informations. Dans le cadre d'un job d'étudiant, je me souviens en effet avoir un jour rempli, de manière aléatoire et à l'aide d'un bottin de téléphone, une bonne part des formulaires d'entretien que j'avais à remplir en questionnant des gens selon un échantillonnage stratifié lors d'une grande enquête sur le tabagisme en Belgique.

Dire ensuite que ce genre de risque ne concerne que les sondages à grandes échelles, serait passer sous silence le constat rapporté par la série Bukavu[B 63] et son exposition en ligne[S 71], qui met en évidence le travail réalisé par des enquêteurs de terrain en zone de conflit armé. En plus du manque de garantie sur la validité des informations, c'est alors un problème éthique qui apparait lorsque les noms des chercheurs du Sud engagés par des chercheurs du Nord, n'apparaissent même pas dans les publications finales. D'où ce besoin de « décoloniser la recherche » dans le but de mettre fin à la « déshumanisation et l’invisibilisation »[S 72] des chercheurs sous-traitants. Une pratique que je considère aussi fondamentale que celle de ne pas entamer ses recherches avec un esprit rempli de préjugés.

Un terrain propice à l'auto-ethnographique

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Suite à tout ce qui vient d'être dit au sujet d'une certaine violence épistémique latente dans la pratique des entretiens compréhensifs[B 64], mais aussi le manque de fiabilité de cette méthode lorsque l'on s'intéresse à la réalité plutôt qu'à l'imaginaire du discours, j'en suis donc venu à m'intéresser à l' auto-ethnographie[B 65]. Ce terme est de fait très peu utilisé dans la sphère francophone des sciences sociales, alors qu'il suscite de nombreux débats dans la sphère anglophone[S 73]. Et puisque certains chercheurs francophones n'hésitent pas non plus à relater leurs vécus, et même parfois, à faire étalage de leurs émotions durant leurs travaux d'écriture, je me suis donc finalement dit qu'en adoptant ce terme d'auto-ethnographie, cela permettrait finalement de mettre un nom sur ce genre de pratique.

Et alors qu'il est courant en sciences sociales de baser ses arguments sur une série de témoignages transmis par des personnes parfois appelées informateurs de terrain, j'ai donc pour ma part adopté l'auto-ethnographie en tant que méthode d'écriture en tant que telle[B 66], mais tout en prenant garde de ne pas en faire le fil rouge de mon travail d'écriture. Il faut savoir aussi que « bien loin de l'image d'Épinal qui voudrait que les participants à une activité numérique soient interrogeables aisément »[B 67], ce n'est pas tout le monde dans le mouvement Wikimédia qui est disposé à offrir de son temps pour un entretien compréhensif. De ceci découla mon choix de partir à la récolte des témoignages déjà présents sur le Web, pour ensuite pointer les aléas de la sérendipité comme faiblesse de ma méthode plutôt que le risque « encliquetage »[B 21] au sein de certains groupes qui plus que d'autres seraient disposés à répondre à mes questions.

Pour compléter ces témoignages que je n'avais pas récoltés moi-même, l'auto-ethnographie apportait alors un autre discours complémentaire et plus intimiste cette fois, tout en ne prenant pas le risque d'ouvrir aucune grille du jardin secret d'un quelconque acteur de terrain. Un tel choix comportait évidemment le risque intrinsèque de voir ma propre histoire devenir insidieusement l'histoire du mouvement Wikimédia; dans une perspective « complaisante, narcissique, introspective et individualisée »[B 68]. Pour éviter cet écueil, j'ai donc veillé à ce que le récit de mes propres expériences ne reste qu'une option et non pas une règle, tout en veillant à porter plus d'attention à ce qui m'entoure plutôt qu'à ma propre personne. En adoptant ce principe, je me suis enfin rappelé que Mike Singleton affirmait pour sa part que narrer ses expériences représentait « le plafond et non pas seulement le plancher de l'anthropologie ». À condition toutefois de décoder les codes des acteurs de terrain pour les recoder dans les miens sans jamais « prendre les miens pour décisifs ou définitifs »[B 69].

La création d'un compte d'éditeur sur les projets Wikimédia permet d'y enregistrer et de classer automatiquement et instantanément toutes ses actions sur les serveurs informatiques de la Fondation Wikimédia[S 74]. En classant toutes ces informations sous forme d'hyperliens affichés sur des pages d'historiques librement accessibles, un tel dispositif représentait ainsi une forme de carnet de terrain numérique bien pratique pour garder trace de la moindre de ses actions lors de sa participation observante. Puisque ce processus technique s'applique aussi à chaque contributeur enregistré des projets Wikimédia, j'aurais pu aussi le mobiliser pour parcourir l'histoire d'autres personnes. Mais j'ai trouvé cette idée trop intrusive tout en étant difficile à gérer au niveau du choix des acteurs. À cela j'ai préféré parler de ma propre histoire et ne faire référence à celles des autres que de manière contextualisée et quand celles-ci venaient à rejoindre la mienne.

On me reprochera sans doute de ne pas avoir pu profiter de mes écrits à chaud concernant mes propres émotions. Ce à quoi je répondrais que j'ai bel et bien parfois retranscrit par écrit certaines de ces émotions, mais uniquement lors de mes terrains exploratoires hors-ligne, là où le besoin se faisait sentir, tandis que cela ne m'est jamais arrivé lors de mes observations en ligne. Assis devant un écran des heures durant, je pourrais effectivement parler de fatigue, de lassitude, de frustration, mais jamais de sentiment comparable à la vie hors ligne, lorsque nos cinq sens sont en éveil et que c'est le corps tout entier qui se voit sollicité. Du reste, et c'est là sans doute plus une question de goût, là où certains et certaines trouveront un grand intérêt à exprimer leurs sentiments ou lire le ressenti du chercheur, je préfère pour ma part rester proche de mon sujet d'étude et m'écarter de tout risque d'égocentrisme.

Dans le respect de mes propres valeurs et sensibilités, j'ai donc finalement décidé de mélanger aussi subtilement que possible la subjectivité de mes récits de vie sur le terrain avec l'objectivité de nombreuses observations empiriques et témoignages récoltés sur le Web. Ce fut aussi finalement une manière efficace de varier entre narration, témoignage et compte rendu de telle sorte à rendre mon texte plus accrocheur. Ceci alors que je n'aurais en aucun cas hésité de faire usage de la première personne du singulier en substitution du nous de modestie, qui m'apparait bien plus pompeux que modeste, et qui n'aurait pas eu la force du « je » pour mettre en évidence ma propre subjectivité, lors de témoignages personnels.

Parler de ma propre expérience m'est apparu enfin comme une belle occasion de faire preuve de réflexivité, tout en étant une manière efficace d'assumer et de partager pleinement ma « sensibilité »[B 70] et même mon adhésion à un terrain d'étude qui au fil du temps m'était de plus en plus proche[B 71]. Ceci à tel point que je finis par m'y sentir plus à ma place que dans le milieu universitaire auquel se rattachait pourtant mon identité de chercheur. C'est d'ailleurs grâce à ce glissement identitaire pour ainsi dire, que je pense avoir pu envisager ma recherche autrement que ce qui m'avait été enseigné durant mes études en commençant par faire le deuil de cette traditionnelle question de départ succédant à cette étape de problématisation toutes deux très appréciées en sciences sociales.

Un questionnement progressif et une ignorance de départ

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Les adeptes de la démarche hypothético-déductive pourraient reprocher à ce travail de recherche de n'avoir pas fait l'objet d'une question de départ. C'est là une démarche que j'ai pourtant expérimentée moi-même dans le cadre d'un travail de sociologie intitulé « Un site de rencontres crée ou dévoile-t-il des inégalités entre les hommes et les femmes ? »[M 12]. Cependant, si cette méthode me permit d'aboutir à une connaissance très ciblée sur la communauté active dans un site de rencontres, dans le cadre de ce présent travail de recherche, elle ne pouvait définitivement pas répondre à ma motivation première d'adopter une approche holistique. Plutôt que de faciliter mes recherches en les structurant autour d'une seule question principale, j'ai donc pris le risque de traiter des dizaines de questions qui me seront venues à l'esprit en faisant de chacune d'elle, l'objet d'un travail universitaire[N 11].

En réalisant ces travaux, je me suis notamment demandé si Wikipédia n'était pas « une démocratie à deux vitesses »[M 13] ou « un nouveau média de colonisation culturelle occidentale »[M 14] et si aborder le projet sous la « métaphore du jeu »[M 15] pouvait être une approche heuristique. J'ai aussi tenté de savoir si la « démocratie et la responsabilité sociale »[M 16] était présente dans le projet encyclopédique et si l'« anonymat des contributeurs y était désirable »[M 17]. En abordant de manière plus générale le mouvement Wikimédia, je me suis alors posé des questions sur de probables « dérives éthiques »[M 18] et sur la manière d'y « inclure la culture orale »[M 19] et d'y développer une « économie plus juste »[M 20].

Toutes les réponses à ces questions me sont donc parvenues les unes après les autres pour finalement combler ma complète ignorance de départ concernant mon sujet d'étude. Rappelons-nous les quelques déboires relatés en deuxième chapitre de ce travail. Si je n'avais pas vécu ces expériences en tant que néophyte et nouvel arrivant, je n'aurais probablement pas non plus compris de la même manière comment l'abandon de la participation de nouveaux arrivants aux projets Wikimédia pouvait être lié à l'arrivée de robots de maintenance. Mon ignorance de départ m'avait donc permis de vivre moi-même une expérience naïve de nouvel utilisateur qui me permit ensuite de mieux comprendre ce que peut ressentir un nouvel arrivant lorsqu'il débarque sur un projet Wikimédia.

Voici donc une première raison pour laquelle je trouve intéressant d'entamer un terrain d'observation en toute ignorance de ce qui s'y passe. Pour le reste, je partage aussi cette intime conviction qu'une question ou hypothèse de départ peut exposer le chercheur à une perception sélective de la réalité et certains biais de confirmation. Commencer une recherche sur base d'une théorie par simple effet de mode comme cela arrive parfois, peut alors susciter, je crois, un désir de rationalisation et de réification propice à des corrélations illusoires qui peuvent potentiellement être renforcées par un effet Einstellung[B 72]. D'un autre côté, il me semble aussi que toute connaissance antérieure à une observation de terrain risque de faire apparaître de nombreux autres biais cognitifs[N 12] tel que celui lié à l'erreur fondamentale d'attribution réputée très puissante au niveau de la culture occidentale[B 73]. Ceci alors qu'en fonction de la personnalité du chercheur et de la quantité de préjugés qu'il entretient, une illusion de connaissance asymétrique est toujours à craindre avec pour risque d'entraîner certaines formes de violences épistémiques comparables à ce qui fut déjà présenté précédemment.

Tandis que l'on finira toujours par produire une « anthropologie du proche »[B 74] ou « du très proche »[B 75] au terme d'une observation participative de longue durée, il faut bien reconnaître aussi que toutes les connaissances passives concernant un terrain d'études, engrangées lors d'autres expériences ou travaux de recherches, ne peuvent jamais non plus être effacées. À ce titre, je tiens donc à signaler qu'avant le démarrage de mon observation participante au sein du mouvement Wikimédia, j'avais déjà développé une certaine sympathie et adhésion à la culture libre. Raison pour laquelle, il est donc tout à fait probable que cette prédisposition aura influencé ma perception du mouvement Wikimédia, même s’il m'est difficile aujourd'hui de m'en rendre compte. Ce que je peux affirmer par contre, c'est que ma connaissance du mouvement du logiciel libre m'aura permis sans aucun doute de mieux cerner les origines profondes du mouvement Wikimédia et d'y débusquer de nouveaux enjeux cachés de la révolution numérique.

Une inspiration en provenance des projets Wikimédia

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Suite à ces multiples prises de conscience sur la manière de produire et de partager la connaissance, on est en droit de se demander pourquoi les sciences sociales[N 13] tardent tant à tirer profit des multiples possibilités offertes par le numérique et l'espace web[B 76][B 77][B 78]. Et pourquoi plus précisément, la plupart des textes de sciences sociales sont-ils rédigés avec un traitement de texte, alors qu'il est aujourd'hui possible avec des compétences très similaires, de produire des articles scientifiques sous forme de pages web. Car finalement, ce que prouve ce présent travail de recherche, c'est qu'il est possible de faire une réelle socio-anthropologie numérique par opposition à cette socio-anthropologie littéraire à laquelle nous sommes restés habitués, voire fidèles, jusqu'à présent. Car quand je dis « socio-anthropologie numérique » je ne parle bien sûr pas de « socio-anthropologie du numérique » ou de « socio-anthropologie des espaces numériques »[M 21], mais bien de faire de la socio-anthropologie avec des outils informatiques qui permettent de tirer le plein potentiel de ce que nous offre l'écoumène numérique. Ce qui veut dire en d'autres mots, inviter les sciences sociales à quitter l'« âge du papier »[B 79] pour enfin se décider à passer à l'âge numérique.

En disant cela, je ne voudrais bien sûr pas passer sous silence cette première évolution dans l'écriture socio-anthropologique que constitua l’anthropologie visuelle, mais à nouveau, et même si le procédé narratif cinématographique a toutes ses lettres de noblesse, la publication de travaux socio-anthropologiques au travers d'un site web, me semble dépasser de loin les possibilités d'une simple projection cinématographique. Incruster un extrait vidéo sur une page web ou y placer un hyper lien redirigeant le lecteur vers une autre page où il pourra visionner un document cinématographique est toujours possible. Alors qu'à l'inverse, rediriger le spectateur d'un film vers un autre document situé en dehors de la captation est impossible, sauf, si précisément la vidéo ou le film en question est diffusé sur un site web. Dans ce cas, il est alors possible de bénéficier des nouvelles fonctionnalités de vidéo interactive offertes par l'HTML5.

Produire un document scientifique à l'intérieur de l'espace web a pour avantage principal de concentrer en un seul lieu les pouvoirs des procédés narratifs textuels, sonores, picturaux et vidéographiques, tout en profitant pleinement des capacités de référencement offertes par les moteurs de recherche. Grâce aux hyperliens, c'est ensuite une nouvelle forme d'écriture dit « authentifiable » qui voit le jour, puisqu'elle offre la possibilité au lecteur d'observer par lui-même un terrain d'étude librement accessible sur le Web. Quand c'est impossible, notamment du fait de restrictions d'accès à certains espaces web ou d'observations hors-ligne, différentes captations du terrain à l'aide d'une caméra ou un appareil photo ou encore par copie d'écran sont toujours possibles. À cela, s'ajoute la possibilité pour le lecteur d'un travail en cours d'élaboration, d'en devenir le relecteur durant un processus dialogique au sein duquel il peut apporter des commentaires ou critiques à ce qu'il vient de lire.

Comme en témoignait l'arrivée du projet HyperNietzsche en 1996, et donc bien avant la naissance de Wikipédia, il n'a pas fallu attendre l'arrivée des projets Wikimédia pour que l'espace Web soit exploité par certains utilisateur pionniers du Web appliqué à la recherche. Résumé par son concepteur tel un moyen « d'expérimenter une nouvelle forme d'organisation de la recherche en sciences humaines et de communication de ses résultats, fondé sur un nouveau système de fabrication, de validation et de partage des connaissances directement géré par les chercheurs. »[B 80], le projet HyperNietsche répondait déjà à la question de savoir s’il est possible d’utiliser Internet pour la recherche en sciences humaines[S 75]. Et en répondant par l'affirmative à cette question, c'est alors tout un ensemble d'autres questions qui sont posées par l'auteur[B 81] de cette première expérience et qui attendent toujours réponse à ce jour :

[...] nous les savants, nous les dépositaires du savoir certifié [...] quel est notre modèle de diffusion de nos savoirs ? C’est un livre publié deux ans après la conclusion de la recherche, distribué en 300 exemplaires, en payant 4 000 euros d’aide à la publication ? [...] Face à l’incroyable efficacité de la diffusion des savoirs démontrée par Wikipédia, par les blogs, par toutes sortes de communautés sur le Web, qu’avons-nous à proposer ? Disposons-nous d’un modèle qui sauvegarde la complexité et la structuration nécessaires au savoir scientifique, qui tout en étant global et ouvert assure l’évaluation par les pairs, sauvegarde la paternité intellectuelle, garantisse la stabilité du texte et dispose d’un système de navigation plus sophistiqué que les listes d’occurrences ou les articles d’encyclopédie ? Jusqu’à maintenant l’humanities computing, au lieu de concevoir une nouvelle infrastructure de recherche capable d’utiliser le nouveau medium électronique dans tout son potentiel, n’a produit qu’une nouvelle discipline de niche et un ensemble de projets non coordonnés les uns avec les autres. Devons-nous y voir le signe d’un destin des sciences humaines qui seraient réfractaires à jamais aux grands projets de coordination et inexorablement condamnées à la création de nouvelles niches ?

Et si cet esprit de niche n'était rien d'autre que le maintien d'un certain « corporatisme »[B 21] ? Il est en effet connu que la science en général et les sciences sociales en particulier sont victimes d'un manque d'interdisciplinarité[N 14][M 22], qui de plus et dans les rares cas observés, doit faire face à un manque de temps lié au management des recherches et à de nombreuses formes d'instrumentalisation[B 82]. De plus, je me suis toujours demandé pour ma part pourquoi la sociologie et l'anthropologie ne font pas l'objet d'une science commune réunie par exemple sous la bannière d'une socio-anthropologie à l'image de ce qui se passe au niveau du projet Wikiversité[S 76].

Yves Grafmeyer dans une revue précisément intitulée « socio-anthropologie »[B 83] nous explique à ce propos qu'à une certaine époque « l'anthropologie, la science de l'homme, s'est consacrée principalement à l'étude des peuples primitifs »[B 84] et qu'à « l'anthropologie incombe l'étude des sociétés sans écriture où se révèlent des cultures exotiques tandis que reviennent de droit à la sociologie les sociétés avancées dans l'urbanisation et l'industrialisation. »[B 85]. Mais alors que l'expression « peuples primitifs » a totalement disparu et que les sociologues s'intéressent aujourd'hui aux territoires et cultures étrangères[S 77], comment pourrait-on encore parler d'exotisme aujourd'hui, dans des laboratoires d'anthropologie qui rassemblent des chercheurs originaires des quatre coins du monde[S 78] ?

Quant aux sociétés dites « avancées » dans l'urbanisation et l'industrialisation, il y a bien longtemps qu'elles sont apparues en dehors des frontières de l'occident. Alors que pendant ce temps, et dès la fin du vingtième siècle, des anthropologues n'ont cessé de s'intéresser au monde occidental et contemporain. Parmi les premiers travaux du genre figuraient par exemple ceux réalisés par Pierre Bouvier dans le monde du travail[B 86], auxquels on peut ajouter ceux de Marc Augé[B 87] qui rejoint Pierre Bouvier pour s'intéresser à la « Socio-anthropologie du contemporain »[B 88]. Mobiliser de nos jours la question d'exotisme et d'un prétendu stade d'avancement des sociétés issu de théories évolutionnistes désuètes pour dissocier l'anthropologie de la sociologie n'a donc plus aucun sens suite au bouleversement du projet et des pratiques anthropologiques dont témoigne Marc Abélès en introduction d'un cours d'anthropologie politique de la globalisation[V 5].

Reste alors la possibilité d’opérer la distinction au travers des méthodes. Mais, là aussi, les choses se discutent. Car suite à l'arrivée du courant interactionniste au début du vingtième siècle, notamment au sein de l'école de Chicago, les méthodes anthropologiques, telles que l'ethnographie et l'observation participante furent adoptées par la sociologie. Ceci alors qu'en 1967 déjà, Harold Garfinkel professeur de sociologie à Harvard, n'hésitait pas à utiliser l'expression « ethnométhodologie »[B 89] pour décrire sa méthode de travail. Il ressort donc de tout ceci qu'au sein d'une société globale où l'humanité tout entière est entrée en interaction, séparer l'anthropologie de la sociologie se justifie difficilement au nom d'une prétendue pertinence des méthodes. Où alors, si tel est le cas et comme cela s'est vu lors du « conflit des méthodes en sociologie »[B 90], c'est carrément au sein de chaque discipline que de multiples scissions deviennent justifiables. Et dans un tel cas de figure, pourquoi alors ne pas pousser le raisonnement jusqu'au bout en faisant de la science l'affaire d'individus autonomes et détachés de tout lien institutionnel, libres de choisir leur propre objet d'étude et leur propre méthodologie ? Et pourquoi pas aussi, aborder le réel selon différentes « vérités situées » telles que le propose par exemple Ken Wilber[B 91] avec ces quatre « quadrants » schématisés ci-dessous, qui indiquent selon lui, comment atteindre ce que j'ai envie d'appeler une « complétude étude » d'un objet donnée.

Tab. 8.1. Les quatre quadrants tels que Ken Wilber les propose pour appréhender le monde
Intérieure (subjectivité, introspection, réflexivité ...) Extérieure (objectivité, distanciation, structure, statistique ...)
Approche intentionnelle Approche psychologique[N 15] Individuelle
Approche culturelle Approche sociale Collective

Quoi qu'il en soit, ce qui semble aujourd'hui incontournable, c'est de dépasser ces guerres partisanes entre institutions et clans d'idéologies diverses, que renforce encore la course aux subsides. Car de cette situation dramatique découle l'ingérence du politique et de l'économique au sein d'une science qui en arrive à se voir complètement détournée de sa mission première. Au niveau des acteurs, il y règne d'ailleurs un climat de révolte[S 79] et un taux important d'abandons[M 23] au sein d'un milieu reconnu pour être un « panier de crabes » selon l'avis d'un employé de cabinet ministériel chargé de la recherche scientifique[N 16]. Pourtant, il est possible de faire science autrement, « loin des guerres de disciplines »[S 80], comme me le confiait un jour Rémi Bachelet, docteur en science de gestion[S 81] et contributeur du projet Wikiversité depuis septembre 2009[S 82]. Tout comme il est aussi possible de le faire avec une totale liberté quant au choix de la méthode et du sujet traité, puisque les seules limites apparues au sein du projet Wikiversité francophone jusqu'à ce jour, ont été l'interdiction de produire du contenu religieux, ni de manière explicite[S 83], ni de manière implicite comme au travers d'un raisonnement mathématique par exemple[S 84].

Et que dire ensuite du projet Wikipédia où toute personne qui y accède participe au recensement du savoir humain ? Car si l'on dépasse les postures d'oppositions de certains milieux intellectuels[B 92] pour prolonger un débat francophone largement entamé[B 93][B 94][B 95][B 96], le projet Wikipédia, ce « trouble-fête de l'édition scientifique » réputé en 2010 comme « porte d’entrée de la connaissance sur Internet »[B 97] et cinq ans plus tard comme « objet scientifique non identifié »[B 98] malgré son déni de l'expertise[B 99], cette « chimère du savoir libre » qui continue à faire face aux hautes exigences de la communication élitiste traditionnelle[B 100], ne devrait-il pas à son tour être perçu comme un lieu de rencontre interdisciplinaire ? De plus, avec une page de discussion dédiée à chaque article dans lesquelles se déroulent parfois des guerres d'édition, ne pourrions-nous pas y voir quelque chose d'équivalent et plus inclusif à ce système d'évaluation par les pairs dont les scientifiques tirent leur orgueil ?

Alors qu'en 2008 déjà, on s'intéressait aux vertus épistémiques de Wikipédia[B 101], la très grande majorité des chercheurs n'ont jamais pris la peine d'aller voir ce qui se passe au-delà de l'encyclopédie. Qui connaît, même au sein du mouvement, l'existence du Wikijournal, un journal scientifique qui vit le jour dans le projet Wikiversité anglophone ? Et qui sait aussi qu'un projet similaire fut accepté du côté francophone[S 85], mais qu'il sera resté au stade d'ébauche faute d'énergie humaine pour l'activer[S 86] ?.

 
Fig. 8.9. Illustrations sur le thème de WIkipédia et la science (source : https://w.wiki/4qaF)

Dans le journal en anglais, il est possible de proposer six personnes comme relecteurs de l'article que l'on propose à la publication[S 87], mais aussi, et cela devient plus discutable, d'en signaler six autres comme indésirables[S 88]. En ce sens, le principe d'évaluation par les pairs tel qu'il est proposé par les éditeurs du Wikijournal of humanities[S 89], dont il est intéressant de relever la diversité au niveau des disciplines[N 17], a donc une connotation beaucoup plus partisane que le système d'évaluation proposé par Wikipédia, où chaque lecteur d'un article peut remettre en question son contenu tout en restant parfaitement anonyme.

Comme autre fait troublant, il faut ensuite savoir qu'un article de Wikipédia peut se voir converti en version preprint du wikijournal[S 87] par une personne qui en assume le processus d'évaluation jusqu'à voir son nom indiqué comme auteur principal de l'article suivi de l'hyperlien labellisé « et al ». En cliquant sur ce lien, on est alors redirigé vers Xtools, un site d'analyse statistique qui permet de connaître les contributeurs qui ont participé à l'écriture de l'article original et dans quelles proportions. Une telle pratique de transfert réciproque, puisque le contenu de l'article une fois « scientificisé » retourne au sein de l'encyclopédie, illustre donc bien la proximité qu'il peut y avoir entre Wikipédia et le monde de la recherche scientifique. Et une proximité qui pose d'autant plus question quand on découvre, bien que ce cas ne semble pas généralisable, que l'auteur crédité dans l'article Rosetta Stone[S 90] publié dans le second volume du journal, n'aura pas fourni plus de 50 % des caractères présents dans le texte selon les indicateurs statistiques[S 91], alors qu'il est seul à recevoir les bénéfices de cette publication au niveau de son curriculum vitae.

Ces critiques apportées au Wikijournal, indiquent donc qu'il n'est pas ici question de faire l'éloge des projets Wikimédia à tout prix, mais bien de plaider au départ de faits vérifiables et de diverses démonstrations en faveur d'une évolution de la science en matière d'ouverture aux méthodes, pratiques et changement d'habitudes. Réciproquement, il ne s'agira pas non plus de faire le procès du Wikijournal of Humanities, mais plutôt de poursuivre ici un débat déjà entamé avec des personnes impliquées au sein du projet[S 92] tout en n'oubliant pas de signaler les qualités du journal attestées par la réception de l'Open publishing awards 2019 dans la catégorie « modèle de publication ouverts »[S 93]. Cette distinction me permet d’ailleurs de rebondir sur le fait que de nombreux journaux scientifiques sont aujourd'hui accusés de prendre en otage la connaissance humaine au travers d'un processus de marchandisation[B 102]. Ceci alors que ce genre de pratique a pour conséquence inévitable de réduire le nombre de lectures des productions scientifiques et donc, par la même occasion leur scientificité au sens popperien du terme, puisque de ces lectures dépendent leurs évaluations.

Encore une fois, ce débat sur le libre accès des publications scientifiques n'est pas nouveau et ne concerne pas non plus de la même manière tous les pays du monde[B 103]. Dès 1999, un mouvement en faveur de l'Open Science fut lancé dans le cadre du projet The OpenScience Project dont le but est d'« encourager un environnement collaboratif dans lequel la science peut être poursuivie par quiconque est inspiré à découvrir quelque chose de nouveau sur de monde naturel »[T 3][S 94]. Cette idéologie d'ouverture et de partage traduite en français par l'expression francophone « science ouverte » (à ne pas confondre avec « Science libre »[N 18]), apparut ainsi dans la continuité d'une philosophie et de valeurs préalablement diffusées par le mouvement du logiciel libre initié par Richard Stallman[N 19] qui en son temps insista sur le fait que :

[...] quelle que soit la catégorie de l'œuvre, la liberté de copier et de redistribuer de manière non commerciale devrait s'appliquer intégralement et en tout temps. Si cela signifie de laisser les internautes imprimer une centaine de copies d'un article, d'une image, d'une chanson ou d'un livre et ensuite d'en distribuer par courriel les copies à une centaine d'étrangers, alors qu'il en soit ainsi[B 104].

À ces considérations initiales, qui mettent en exergue le partage au sein du paradigme du savoir, s’ajoute ensuite « le défi de la transparence » telle qu'il se voit décrit par le virologue Bernard Rentier :

Bien au-delà de l'accès ouvert, la science ouverte s'étend sur un champ très vaste et prend en compte, dans un effort de rénovation et de modernisation, l'ensemble des problématiques de la recherche et de ses conséquences, telles que l'ouverture et la gestion des données de recherche, l'ouverture et l'inter-opérabilité des logiciels, la transparence des évaluations, l'encouragement de la participation citoyenne à la recherche et la liberté d'accès aux matières d'enseignement.[B 105]

Face à de telles revendications, il est donc à nouveau possible de s'inspirer du fonctionnement des projets Wikimédia. Car il faut se rappeler que tous ces projets reposent sur le logiciel libre MediaWiki qui fait figure de référence en matière de participation et de transparence au sein de l'espace Web. Grâce à l'archivage automatisé de tout ce qui se passe au sein de son espace numérique, et grâce ensuite à la restitution de toutes ces informations sous forme d'historique librement accessible à tous les utilisateurs, ce logiciel répond en effet de manière très efficace aux besoins de transparence réclamés par le mouvement de la science ouverte. Loin d'être un « fantasme de la technologie »[B 106], cet environnement de travail constitue donc en ce sens, une nouvelle inspiration en faveur d'une évolution de la science.

Malheureusement, le projet Wikiversité qui présentait toutes les caractéristiques nécessaires au développement de la recherche et de la formation scientifique au sein du mouvement Wikimédia, ne connut ni un grand succès, ni de grands encouragements. Rappelons-nous l'aversion de la fondation quant à l'idée de dispenser des cours et surtout de délivrer des titres de qualification dans ce projet naissant. Ce qui était proposé à l'époque n'était pourtant rien d'autre que le concept d'« eLearning » apparu en 2004[B 107]. Ce que proposait Wikiversité était donc en ce sens tout à fait avant-gardiste puisqu'il fallut attendre jusqu'à 2013 pour que l'Europe s'y intéresse ouvertement[S 95], et même 2015 pour que le nombre de cours organisés par des organismes à but non lucratif, finissent par dépasser ceux des firmes commerciales au niveau du nombre d'étudiants inscrits[B 108]. Dix ans d'évolutions donc, pendant lesquels le mouvement Wikimédia, au lieu de s'investir dans ce créneau pourtant indispensable à la réussite de sa mission de partage des connaissances, sera tombé dans l'impasse épistémique présentée dans le précédent chapitre.

Car si Wikimédia est une belle source d'inspiration quant à penser la science de manière plus démocratique, il est toutefois regrettable que le mouvement n'ait finalement pas réussi à tirer profit du potentiel qui est en sa possession. Pendant des années et jusqu'à ce jour, trop d'énergie et d'attention ont été accordés au projet encyclopédique, laissant ainsi de côté les autres projets pédagogiques dont les perspectives dépassent pourtant de loin ce que pourrait offrir une simple compilation des connaissances humaines produites dans des sphères éditoriales externes. Car finalement, c'est bien à cela que se résume actuellement la visée du projet Wikipédia dans ses versions linguistiques les plus développées. Voici donc pourquoi, le mouvement Wikimédia, bien qu'il soit inspirant en ce sens, n'échappe pas à la critique lorsqu'il s'agit de préparer une plaidoirie en faveur d'une science démocratique.

Plaidoirie en faveur d'une science démocratique

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Comme annoncé en début de chapitre, le moment est donc venu de conclure avec une plaidoirie en faveur d'une science démocratique que j'adresserai autant au milieu universitaire que j'aurai fréquenté durant la réalisation de ce travail de recherche, qu'au mouvement Wikimédia qui fut mon sujet d'étude. Car finalement, que l'on parle de savoir où de science n'est ce pas la une question politique ? Ne parlons-nous pas là d'une idéologie comme peut l'être le droit[B 109] ou tout autre savoir scientifique ? Et si tel est le cas, pourquoi la science n'est-elle pas démocratique ? Pourquoi tout le monde n'y a pas accès, ni dans sa pratique, ni même au niveau de son apprentissage ?

Le mot « science » peut en effet se définir dans un sens premier comme la « somme de connaissances qu'un individu possède ou peut acquérir par l'étude, la réflexion ou l'expérience. », et aussi dans un sens second, comme « ensemble structuré de connaissances qui se rapportent à des faits obéissant à des lois objectives (ou considérés comme tels) et dont la mise au point exige systématisation et méthode »[S 96]. Mais ce sens second pose un problème. Tout d'abord lorsque des philosophes des sciences comme Jean-Claude Passeron et Karl Popper ne sont pas d'accord sur la manière de définir un énoncé scientifique, et donc à plus forte raison une loi. Ensuite, parce que selon Paul Feyerabend, la méthode et la systématisation ne représentent pas des critères pertinents pour définir ce qui fait science[B 110].

En attendant que les philosophes se mettent d'accord, il est donc possible d'en revenir au sens premier du mot science et de dire que toute personne qui produit ou partage de la connaissance pratique la science. Cette façon de voir les choses a en outre l'avantage de concevoir la science de manière démocratique puisque son activité est dès lors accessible à tous. Au départ d'une telle vision, on peut donc « imaginer un monde dans lequel chaque être humain puisse partager librement la somme de toutes les connaissances »[S 97] tel que cela est précisément formulé au sein du mouvement Wikimédia.

Cependant, et notamment en raison d'une méthode pourtant soumise à débat, la science fut accaparée par les universités, instituts d'enseignement supérieur, laboratoires et autres institutions de ce type souvent reconnaissables par leurs prétentions à l'excellence. Mais peut-on encore parler d'excellence lorsqu'on apprend que les universités « perdent le nord »[B 111], qu'une thèse de doctorat fut annulée pour plagiat[B 112], et que c'est toute une dérive institutionnelle qui menace le principal siège de la science comme le décrit ci-dessous Arnaud Mercier[B 113] :

On peut alors parler de dérives pour les universités, qui mettent en péril les modes de travail des universitaires et des personnels académiques en général. Sous ces coups de boutoir, les universités se liquéfient, elles se bureaucratisent, entrent stérilement dans un esprit de compétition mal placé, de sorte qu’un sentiment d’aliénation professionnelle s’empare de plus en plus des personnels, chacun se sentant dépossédé de son outil de travail et perdant progressivement le pouvoir de définir le sens des missions de l’université. Ces dérives sont lourdes de conséquence et la qualité de la recherche et du service rendu aux étudiants ne peut que s’en ressentir.

 
Fig. 8.10. Dessin de C. Léandre dans le journal Le Rire du 20 mai 1905, illustrant de manière humoristique Jean-Baptiste Bienvenue-Martin tentant de séparer l'église et l'état (source : https://w.wiki/3MKD).

Afin de comprendre ce phénomène de déclin du milieu universitaire, on peut alors se poser la question de savoir si le milieu scientifique n'aurait pas oublié que « l'épistémologie est une conséquence de l'éthique et non l'inverse »[B 114]. Car on a tendance à oublier que derrière le code de déontologie et l'épistémologie de la science, se trouve l'éthique qui repose elle-même sur cette réflexion idéologique première et fondamentale qu'est la philosophie politique ou la religion selon les contextes.

Lorsque François Rabelais faisait écrire par la main de Gargantua une lettre à son fils Pantagruel pour le mettre en garde sur le fait que « selon le sage Salomon, Sapience nentre point en âme malivole, et science sans conscience nest que ruyne de lame. » pour ajouter ensuite que « servir, aymer, et craindre dieu et en luy mettre toutes tes pensees, et tout ton espoir »[B 115]. Ne préfigurerait-il pas qu'à l'approche d'une sécularisation, qui se conçoit d'ailleurs très différemment selon les pays[B 116], l'idéologie ecclésiastique favorable au maintien des avantages politiques et économiques d'une certaine classe trouva refuge en science ?

Dans l'ouvrage Les chiens de garde, publié en 1932, soit moins de 30 ans après la loi de séparation des Églises de l'État, Paul Nizan accusait effectivement les philosophes, et ces personnes qui en science traitent les questions proches du religieux, d'avoir « trahi les hommes pour la bourgeoisie »[B 117]. Soixante-cinq ans plus tard, dans un texte intitulé Les nouveaux chiens de garde, Serge Halimi accusa pour sa part le journalisme d'être perverti dans « une société de cour et d'argent, en se transformant en machine à propagande de la pensée de marché »[B 118]. Quinze ans plus tard enfin, chiens de garde anciens et nouveaux se trouvent dans un nouvel ouvrage titré Les marchands de doute dans lequel Naomi Oreskes, Erik M. Conway et Jacques Treiner dénoncent cette fois une certaine connivence entre « experts indépendants » et « médias naïfs ou complaisants »[B 119] dans le but de troubler délibérément les débats et d'atteindre l’opinion publique sur des sujets aussi importants que le tabagisme et le réchauffement climatique.

Ce petit détour historique nous indique donc qu'au-delà du pouvoir législatif, pouvoir exécutif et pouvoir judiciaire reconnu par Montesquieu au sein de l'État, complétés ensuite par le quatrième pouvoir que représente la presse et les médias et le cinquième pouvoir attribué cette fois au système économique, il existe en fin de compte un « sixième pouvoir » localisé cette fois dans la science et plus précisément au sein du milieu scientifique que représentent de nos jours les « experts » pour la plupart issus du milieu universitaires. Ceci alors que comme l'écrivait Paul Feyerabend[B 120] :

 
Fig. 8.11. Copie d'écran sur smartphone du site AgoraVox suite à la publication d'un article intitulé « Le sixième pouvoir » (source : https://w.wiki/4qaG)

La science est beaucoup plus proche du mythe qu'une philosophie scientifique n'est prête à l'admettre. C'est l'une des nombreuses formes de pensée qui ont été développées par l'homme, mais pas forcément la meilleure. La science est indiscrète, bruyante insolente ; elle n'est essentiellement supérieure qu'aux yeux de ceux qui ont opté pour une certaine idéologie, ou qui l'ont accepté sans avoir jamais étudié ses avantages et ses limites. Et comme c'est à chaque individu d'accepter ou de rejeter des idéologies, il s'ensuit que la séparation de l'État et de l'Église doit être complétée par la séparation de l'État et de la Science : la plus récente, la plus agressive et la plus dogmatique des institutions religieuses. Une telle séparation est sans doute notre seule chance d'atteindre l'humanité dont nous sommes capables, mais sans l'avoir jamais pleinement réalisée.

Or, il se fait qu'au cours de la pandémie de la Covid-19, la promiscuité entre la science et l'État n'aura jamais été aussi forte[M 24], dans un contexte abusif parfois de droit d’exception comme l'aura démontré la condamnation de l'État par le tribunal de première instance de Bruxelles[M 25]. Certains diront peut-être que la gravité de la situation justifiait l’immixtion de la science dans les prises de décisions politiques. Mais si tel est le cas, il faut alors admettre que c'est le principe même de la démocratie qui est mis en jeu, puisque la science n'est pas un espace démocratique.

Pour s'en convaincre, il suffit de regarder combien coûte un parcours d'étude supérieur, ou encore de vérifier que le premier paragraphe de l'article 26 de la Déclaration des Droits de l'Homme selon lequel « l’accès aux études supérieures doit être ouvert en pleine égalité à tous en fonction de leur mérite », n'est ni repris par la Convention européenne de sauvegarde des Droits de l'Homme et des Libertés fondamentales, ni par la Convention américaine relative aux droits de l'homme, ni même par la Charte africaine des droits de l’homme et des peuples.

Au sein des nations dites démocratiques, la science, dans le rôle d'un sixième pouvoir, ne devrait-elle pas être, elle aussi, être démocratique ? Ou dans le cas contraire, ne devrait-elle pas être tenue à distance des décisions étatiques tout comme le fut l'Église en son temps ? Si l'option démocratique est prise, il faut alors tenir compte que les projets Wikimédia offrent déjà une solution en tant que « média de la connaissance démocratique »[B 121], et que selon la définition première du mot science, on peut déjà y voir un mouvement scientifique à part entière. Et par ailleurs un mouvement qui, selon les recommandations de Karl Popper, serait même plus scientifique, épistémologiquement parlant, que les Universités.

Popper était effectivement opposé à toute science basée sur des critères d'autorité et affirmait qu'une production scientifique devait être réfutable. Or, pour réfuter les productions scientifiques universitaires, il faut d'abord y avoir accès. Lorsque celui-ci est payant et interdit de reproduction, il en devient moins facilement réfutable et donc fatalement moins scientifique. Tout à l'inverse, le contenu des projets Wikimédia est pour sa part archivé « en temps réel » pour être librement et gratuitement accessibles à quiconque bénéficie d'un accès Internet, avec la permission et l'encouragement même de l'imprimer pour en faciliter davantage la diffusion. De plus, partager du savoir « à la manière wiki », c'est aussi « rendre la correction d'erreurs facile plutôt que de rendre l'insertion d'erreurs difficile »[S 98]. Quoi de mieux donc que la méthode Wikimédia pour favoriser la réfutation du savoir par le plus grand nombre ?

Voici pourquoi, je défends ici l'idée que le mouvement Wikimédia est plus scientifique, au sens épistémologique du terme, que la plupart des Universités embourbées dans un marché du savoir capturé par les maisons d'édition et ses grosses enseignes commerciales. Le système universitaire repose effectivement de nos jours sur des indicateurs de type Science Citation Index, facteur d'impact, Journal Citation Reports ou autres, qui sont pourtant soumis à la critique de professeurs émérites qui, après avoir quitté le système, se sentent bien plus libres d'en dénoncer les failles. Parmi ceux-ci, on retrouve James C. Scott qui nous rappelle l’existence de la loi de Goodhart selon laquelle « lorsqu'une mesure devient un objectif, elle cesse d'être une bonne mesure »[B 122], puisqu'elle devient sujette à diverses manipulations et stratégies d'actions qui finiront par la rendre obsolète ou biaisée. Cet auteur aborde aussi le sujet du Social Science Citation Index (SSCI) en nous disant ceci[B 123] :

Il est inutile de s’étendre davantage sur les défauts du SSCI. Ils ne servent qu’à illustrer l’inévitable fossé entre ce genre de systèmes de mesure et la qualité sous-jacente qu’ils sont censés évaluer. La triste réalité est que plusieurs de ces défauts inhérents pourraient en fait être rectifiés en apportant des réformes et des améliorations aux procédés de conception de l’index. En pratique, cependant, on préfère la mesure la plus abstraite, du point de vue de la schématisation, et la plus simple, du point de vue du calcul, parce qu’elle est facile d’emploi et, dans ce cas-ci, moins coûteuse. Mais sous le décompte en apparence objectif des citations se trouve une longue série de « conventions comptables ». Ces conventions, subtilement introduites dans la mesure elle-même, sont profondément politiques et extrêmement lourdes de conséquences.

Encore une fois donc, le débat sur la science nous renvoie vers la sphère politique et idéologique. Dans ces domaines et en supposant un monde épargné du totalitarisme, ce sera toujours à chacun de choisir sa position. Mais dans le cas de la science, ce qui devient alors dérangeant, c'est sa prétention à l'universalité et à l'objectivité, là où il n'y a très clairement que subjectivités, intérêts idéologiques et cas de figure. Les choses peuvent évidemment varier d'une discipline à l'autre, mais au bout du compte et quel qu'en soi le secteur d'activité, il serait sain de maintenir la science à sa juste place. Celle d'un projet démocratique et universel en ce sens, qui inviterait tous les êtres humains à partager sur un pied d'égalité, toute forme de connaissances produites dans le monde.

Notes et références

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[N]otes

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  1. Mon parcours doctoral n'a malheureusement pas pu faire l'objet d'un financement. Le délai entre la fin de mon master et le début de mon doctorat était trop long pour que je puisse déposer ma candidature au Fonds National de la Recherche Scientifique (FNRS). Parallèlement, Imagine_un_monde/Recherche_de_partenaires_et_de_financements&oldid=785231 les recherches au niveau d'autres organismes ont été infructueuses. Par la suite, mes deux dossiers de candidatures pour un fonds de développement pédagogique au sein de mon université (FDP) furent rejetés tout comme de Lionel_Scheepmans&oldid=20183287 nombreuses demandes de financement au sein du mouvement. Les seuls financements que j'ai pu obtenir furent quelques remboursements de frais de transport en Belgique, et de manière plus conséquente, une bourse de Wikimedia Suisse qui me permit de participer sans frais à ma première rencontre internationale Wikimania de 2014, une autre en provenance de l'association française qui me permit d'assister à celle de 2016 et une dernière de l'association belge pour l'édition 2019.
  2. L'ensemble des fichiers que j'ai importés est accessible sur la page: https://commons.wikimedia.org/wiki/Special: ListFiles?limit=500&user=Lionel+Scheepmans
  3. Dans le but de donner un aperçu complet sur mon observation participante, mon parcours wikipmédien est retracé de façon exhaustive sur ma page d'utilisateur sur le site Meta-Wiki.
  4. Dans le cas d'une version imprimée, il est alors possible de recopier les adresses URL dans un navigateur, ou d'utiliser les codes QR lorsqu'ils sont disponibles.
  5. J'ai trouvé intéressant qu'après moi, Marie-Noëlle Doutreix aborda aussi de concept de réfutabilité de Popper dans le sixième chapitre de son ouvrage consacré au projet Wikipédia. Je regrette cependant qu'elle n'ait pas pris la peine de mentionner que l'idée avait déjà été abordée précédemment dans mon travail de fin de master librement accessible sur le Web.
  6. Il est très important ici de signaler ce que l'on entend par pacte ethnographique. Car lors d'une discussion avec Jacinthe Mazzocchetti, j'ai pu réaliser qu'un pacte ethnographique pouvait aussi être une promesse de ne pas trahir des informateurs de terrain. Elle m'expliquait ainsi comment elle était tenue de ne pas divulguer les stratégies employées par des réfugiés qu'elle rencontre sur son terrain d'étude dans le but d'éviter les contrôles ou contourner certaines règles administratives.
  7. Cette licence creative commons représente donc une véritable aubaine pour les chercheurs et surtout pour les statisticiens comme pourra en attester l'existence d'une multitude de sites web présentant des analyses effectuées parfois en temps réel au départ de données récoltées sur les sites Wikimédia via une interface de programmation d'application (API). À leurs tours, licence oblige, ces analyses statistiques sont publiées sous licence CC. BY. SA et reviennent donc disponibles pour les chercheurs sous les mêmes conditions que celles évoquées précédemment.
  8. À remarquer que la chute brutale du pourcentage de la rubrique « Frais de fonctionnement » en 2014 est due à l'apparition d'une nouvelle rubrique intitulée « Frais de service professionnels » au départ de la scission de la rubrique précédente.
  9. Je profite de l'occasion pour anticiper une éventuelle discrétisation de mon travail au départ d'une accusation d'auto-plagiat, utilisé dans certains milieux académiques pour condamner la récupération de ses propres écrits dans un autre contexte d'édition dans le but d'accroitre son nombre de publications. L'intérêt pour l'auteur étant bien entendu de faire croire à une plus grande expérience d'écriture dans le cadre d'une candidature à un poste académique ou un financement quelconque. Il se fait cependant que la rédaction de l'article encyclopédique ne sera jamais, à tort ou à raison, considérée comme une production scientifique et qu'elle ne fera donc jamais l'objet d'une reconnaissance quelconque en milieu universitaire. Son écriture par contre aura représenté une charge de travail importante dans le but de répondre aux attentes éditoriales de Wikipédia qui n'ont rien en commun avec celles établies pour l'écriture d'une thèse de doctorat. Sur Wikipédia, il fut me fut par exemple reproché d'utiliser trop de sources primaires, alors que ces sources sont au contraire très attendues dans le cadre d'un travail socio-anthropologique.
  10. À la clôture du vote, le label ne fut pas attribué puisque que seulement 4 des 9 personnes votantes étaient en sa faveur alors que la labellisation requiert 66 % de votes favorables et au moins 5 votes positifs.
  11. Tous ces travaux furent produits durant un master en anthropologie, un certificat en éthique sociale et économique et ce récent parcours doctoral. Au même titre que cette thèse de doctorat, et de bien d'autres travaux encore, ils furent publiés dans l'espace recherche du projet Wikiversité francophone pour être ensuite répertoriés sur ma page d'utilisateur commune à tous les projets Wikimédia.
  12. En parcourant la catégorie biais cognitif sur Wikipédia, bon nombre d'entre eux semblent applicables à notre cas de figure:biais d'attention, de cadrage, de conformisme, d'anticonformisme, d'équiprobabilité ou effet de halo et de primauté.
  13. N'étant pas familiarisé avec les autres domaines de la science, je ne me risquerai pas à généraliser mes propos à l'ensemble de la science à ce stade de la discussion. D'autres le feront peut-être en suivant mon inspiration.
  14. Voir aussi au niveau de Wikipédia les articles au sujet de la transdisciplinarité, la pluridisciplinarité, la mutliversalité.
  15. Je traduis ici le terme behavioral originalement utilisé par Wilber par le mot psychologique afin de ne pas induire le lecteur en erreur étant donné que le terme comportemental en français est fortement lié au courant béhaviorisme ou comportementalisme et donc à un courant bien spécifique de la psychologie.
  16. Cette expression m'est venue d'une observation participante au sein d'un cabinet ministériel en 2010 dans le cadre d'un cours portant sur les lieux de médiation.
  17. En mai 2021 ce comité était en effet composé d'historiens, de juristes, de pédagogues, d'anthropologues, de sociologues, de politologues, d'archéologues et même d'un biochimiste.
  18. L'expression « Science libre » fut en effet récupérée par un magazine publié sous copyright
  19. L'histoire et les enjeux du logiciel libre et des idées de Richard Stallman son créateur sont présentés plus en détails dans le premier chapitre de ce travail de recherche.

[T]extes originaux

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  1. that not the verifiability but the falsifiability of a system is to be taken as a criterion  of  demarcation.*3  In  other  words:  I  shall  not  require  of  a scientific system that it shall be capable of being singled out, once and for all, in a positive sense; but I shall require that its logical form shall be  such  that  it  can  be  singled  out,  by  means  of  empirical  tests,  in  a negative sense: it must be possible for an empirical scientific system to be refuted by experience
  2. Griaule's initiatory trajectory has never been parallele or even approximated by any of his student.
  3. We are a group of scientists, mathematicians and engineers who want to encourage a collaborative environment in which science can be pursued by anyone who is inspired to discover something new about the natural world.

[B]ibliographie

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  1. Morgan Meyer et Susan Molyneux-Hodgson, « « Communautés épistémiques »: une notion utile pour théoriser les collectifs en sciences ? », Terrains & travaux, vol. 18, no  1, 2011, p. 151 (ISSN 1627-9506) [texte intégral]
  2. Pierre Gervais, « Marchandisation ou managérialisation du savoir ? Réflexions sur le cas étatsunien », Hal université Paris 3, 2015 [texte intégral]
  3. Alain Testart, « L'Objet de l'anthropologie sociale », L'Homme, vol. 26, no  97, 1986, p. 139 & 140 (ISSN 0439-4216) [texte intégral]
  4. Jean-Paul Colleyn, « Champ et hors champ de l'anthropologie visuelle », L Homme, no  203-204, 2012-12-04, p. 457 (ISSN 0439-4216 et ISSN 1953-8103) [texte intégral lien DOI]
  5. Vincent Mirza, « Une ethnologie de la mondialisation est-elle possible? », Anthropologie et Sociétés, vol. 26, no  1, 2002, p. 159–175 (ISSN 0702-8997 et ISSN 1703-7921) [texte intégral lien DOI]
  6. 6,0 et 6,1 Karl R Popper, Conjectures and refutations the growth of scientific knowledge., Routledge & Kegan Paul, 1963 (OCLC 1070438148) 
  7. 7,0 et 7,1 Mondhler Kilani, Du terrain au texte. Sur l'écriture de l'anthropologie, 1994 (OCLC 1008926573) [nbn: ch: serval-BIB_268435 lire en ligne], p. 53 
  8. Yuval N Harari, Homo deus une brève histoire de l'avenir, Albin Michel, 2017 (ISBN 9782226425676), p. 435 
  9. Edgar Morin, Introduction à la pensée complexe, Points, 2014 (ISBN 978-2-7578-4200-3) (OCLC 900730714), p. 114 
  10. Ken Wilber, Une brève histoire de tout, Québec, Éditions de Mortagne, 2019 (ISBN 978-2-89662-912-1 et 978-2-89662-913-8) (OCLC 1080210579) [lire en ligne] 
  11. Benoit Rochon, Jean-Philippe Béland, Karine Gentelet et Nathalie Casemajor, Créer et administrer une Wikipédia: enjeux, opportunités et boîte à outils pour les Premières Nations, Wikimédia Canada ; Université du Québec en Outaouais, 2016 (OCLC 1145985089) [lire en ligne] 
  12. Pierre-Joseph Laurent, Devenir anthropologue dans le monde d'aujourd'hui., Karthala Editions, 2019 (ISBN 978-2-8111-2622-3) (OCLC 1112553066), p. 13 
  13. Doug Belshaw, The essential elements of digital literacies [electronic resource, 2014 (OCLC 1193428929) [lire en ligne] 
  14. Isabelle Stengers, Another science is possible: a manifesto for slow science, Polity, 2018 (ISBN 978-1-5095-2180-7 et 978-1-5095-2181-4) (OCLC 1031931007) 
  15. Bernard Charlier, Christine Grard, Frédéric Laugrand et Pierre-Joseph Laurent, Ecritures anthropologiques, Academia, 2020-02-12 (ISBN 978-2-8061-0471-7), p. 99 
  16. 16,0 et 16,1 Heather A. Horst et Daniel Miller, Digital Anthropology, A&amp C Black, 2013 (ISBN 9780857852922), p. 3 
  17. George E Marcus, « Contemporary problems of ethnography in the modern world system », Writing culture: the poetics and politics of ethnography, 1986
  18. Christian Ghasarian, « Les désarrois de l'ethnographe », homme L'Homme, vol. 37, no  143, 1997, p. 189–198 (ISSN 0439-4216)
  19. Christophe Lazaro, De la liberté logicielle : une ethnographie des pratiques d'échange et de coopération au sein de la communauté Debian, Louvain-la-Neuve, Academia Bruylant, 2008 (OCLC 1062381193) [lire en ligne], p. 10 
  20. Olivier Servais, Humanités réticulaires : nouvelles technologies, altérités et pratiques ethnographiques en contextes globalisés, Academia-l'Harmattan, 2019 (ISBN 978-2-8061-0249-2) (OCLC 1182576267), p. 138-139 
  21. 21,0 21,1 21,2 21,3 21,4 21,5 21,6 21,7 et 21,8 Jean-Pierre Olivier de Sardan, La rigueur du qualitatif: les contraintes empiriques de l'interprétation socio-anthropologique, 2019 (ISBN 978-2-87209-897-2) (OCLC 1142032779), p. par ordre de citation : 93, 11, 98, 28, 94, 116, 82, 86, 16. 
  22. Gilles Sahut, « « Citez vos sources »: archéologie d’une règle au cœur du savoir wikipédien (2002-2008) », edc Études de communication, 2014, p. 97–110 (ISSN 1270-6841) [texte intégral]
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  46. Joseph-Marie de Gérando, Considérations sur les diverses méthodes à suivre dans l'observation des peuples sauvages, par J.-M. Degérando,…, 1800 [lire en ligne], p. 13 
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  77. Dana Diminescu et Michel Wieviorka, « Le défi numérique pour les sciences sociales », socio Socio, 2015, p. 9–17 (ISSN 2266-3134)
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  79. Martyn Lyons, « 1. Introduction : l'âge du papier », Le Triomphe du livre, Éditions du Cercle de la Librairie, 1987, p. 9 à 23
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  85. Ibid, page 9
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  119. Naomi Oreskes, Erik M Conway et Jacques Treiner, Les marchands de doute: ou comment une poignée de scientifiques ont masqué la vérité sur des enjeux de société tels que le tabagisme et le réchauffement climatique, Éd. le Pommier, 2012 (ISBN 978-2-7465-0567-4) (OCLC 793478889) 
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[M]édiagraphie

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  14. Lionel Scheepmans, « Wikipédia, un média de colonisation culturelle occidentale ? », sur Wikiversité,
  15. Lionel Scheepmans, « Wikimédia vu sous l'aspect et la métaphore du jeu », sur Wikiversité,
  16. Lionel Scheepmans, « Questions de démocratie et de responsabilité sociale au sein de Wikipédia », sur Wikiversité,
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[V]idéographie

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[S]itographie

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  84. Wikiversité, « Wikiversité:Pages à supprimer/Recherche:Travaux de recherche partiels de Patrick Bréjon »
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