Espaces vectoriels normés/Limites et continuité
L'objectif de ce chapitre est d'étendre les définitions de limites et de continuité vues en analyse réelle aux espaces vectoriels normés (e.v.n.). Les définitions et les propriétés seront similaires à celles vues dans , mis à part qu'on remplace la valeur absolue par la norme. Nous allons mettre en application les notions topologiques vues dans le chapitre précédent pour définir les notions de limites et de continuité.
Dans toute la suite, et sont deux e.v.n., est une partie de , et est une application de dans .
Limite d'une suite dans un e.v.n.
modifierDéfinition
modifierDans un premier temps, voyons la définition de limite d'une suite dans un e.v.n.. De manière similaire aux limites d'une suite dans , on définit la limite d'une suite en termes de proximité à un point à partir d'un certain rang, mais ici la valeur absolue est remplacée par la norme.
La propriété suivante, qui peut paraître évidente pour le lecteur habitué au cas réel, est fondamentale.
Supposons donc que soit une suite convergente et que sont deux limites de .
On a alors, pour :
- .
- .
Posons alors , et l'on a donc :
.
Ceci étant vrai pour tout , on a , d'où .
- Remarque
- Pour information, ce résultat n'est pas toujours vrai pour des espaces plus généraux, comme les espaces non séparés.
De même que pour les suites numériques, on a :
- Une suite de converge vers si et seulement si les suites et convergent vers .
L'introduction de la notion de voisinage dans le chapitre précédent va nous permettre de donner une caractérisation équivalente de la limite qui est utilisée dans les généralisations de cette notion, et qui permet de simplifier parfois les raisonnements.
Soient une suite de , et .
si et seulement si pour tout voisinage de , .
La preuve découle directement des définitions de voisinage et de limite.
- Supposons tout d'abord que .
- Soit un voisinage de alors il existe tel que
- On a donc, par définition de la limite : , ce qui revient à dire que , ou encore .
- Réciproquement, si pour tout voisinage de .
- Soit . Alors, comme est un voisinage de .
- Ceci revient exactement à dire que .
Comme nous sommes dans un espace vectoriel, il est important de connaître le comportement de la notion de limite vis-à-vis de la structure algébrique, et ici tout se passe bien car on constate la linéarité de la limite. La démonstration de ce résultat repose essentiellement sur l'inégalité triangulaire aussi elle est laissée en exercice pour le lecteur.
Soient deux suites de et . Si et convergent, alors la suite converge, et on a : .
Applications à la topologie
modifierLa propriété suivante est une caractérisation séquentielle (c'est-à-dire avec des suites) de certaines notions de topologie, et va permettre de déterminer l'adhérence d'une partie de .
- si et seulement si est limite d'une suite d'éléments de .
- En particulier, est fermé si et seulement si toute suite de qui converge dans converge vers un élément de .
- Soient , et .
- Par définition, tout voisinage de rencontre . En particulier, .
- Choisissons alors . La suite ainsi créée converge alors vers car .
- Réciproquement, si est limite d'une suite d'éléments de , alors tout voisinage de contient des éléments de la suite et donc : .
- La deuxième partie est évidente en se rappelant que si est fermée alors .
Concernant la densité, le corollaire direct suivant fournit le principal outil pour montrer qu'une partie est dense dans .
Soit .
est dense dans si et seulement si pour tout point , il existe une suite de tel que .
- Remarque
- Cela confirme la remarque faite lors de la définition de la densité : une partie est dense dans si tous les points de peuvent être approchés par des points de .
Limite et continuité d'une fonction dans un e.v.n.
modifierDéfinitions
modifierSoient et .
On dit que a pour limite au point , et l'on note , ou , siOn dit que est :
- continue en un point de si ;
- continue sur si elle est continue en tout point de .
- un homéomorphisme de dans si est une bijection continue dont la réciproque est également continue.
- Remarques
- Tout comme pour les fonctions définies sur , on peut se représenter la notion de limite en imaginant que l'on se rapproche d'un point. Cependant, sur , il n'y a que deux possibilités pour approcher un point : par valeurs supérieures ou inférieures. Ce n'est plus le cas dans les espaces de dimension (réelle) strictement plus grande que . On ne peut donc plus scinder un problème de limite en deux cas.
- On peut également trouver le terme application bicontinue au lieu d'homéomorphisme dans certains textes.
Voyons maintenant d'autres caractérisations importantes de la continuité.
Soient une application. On a équivalence entre les propriétés suivantes :
- est continue en ,
- Pour tout voisinage de , est un voisinage de .
On a équivalence entre les propriétés suivantes :
- est continue sur ,
- l'image réciproque par de tout ouvert de est un ouvert de ,
- l'image réciproque par de tout fermé de est un fermé de .
- Remarque
- En pratique ce résultat est très utile pour montrer que des parties sont ouvertes ou fermées.
On a également la caractérisation séquentielle suivante pour la limite et la continuité d'une fonction qui est très utile en pratique, en particulier pour montrer qu'une application n'est pas continue.
Soient une application et .
- si et seulement si pour toute suite de convergeant vers , on a .
En particulier, si , est continue en si et seulement si pour toute suite de convergeant vers , on a .
- Remarque
- On déduit immédiatement de ce résultat l'unicité de la limite des fonctions, ainsi que la linéarité de la limite de fonction et de la continuité en utilisant la linéarité de la limite des suites. Plus précisément, si sont deux fonctions continues en un point , alors la fonction est continue.
- Pour montrer qu'une application n'est pas continue en , il suffit de trouver une suite qui converge vers et telle que la suite ne converge pas vers .
Une des opérations fondamentales sur les fonctions est la composition de deux fonctions, il est donc important de savoir si la composée de deux fonctions continues est encore continue. La propriété suivante nous assure que c'est bien le cas, et elle sera très pratique pour savoir si des fonctions sont continues en un point, ou sur une partie de .
Soient trois e.v.n. Soient , une fonction continue en , et une fonction continue en .
Alors est continue en .
En particulier, si est continue sur une partie et si est continue sur , alors est continue sur .
Nous avons introduit dans le chapitre précédent la notion de normes équivalentes, et nous allons maintenant voir l'utilité de cette notion. En effet, les limites de suites et la continuité dépendent de la norme choisie, aussi nous devons savoir si la continuité est conservée si l'on change de norme par une norme équivalente sur l'espace d'arrivée et/ou de départ. La proposition suivante va nous assurer que la continuité est préservée.
Considérons deux normes équivalentes sur , et deux normes équivalentes sur .
- Soit une suite convergente dans , alors converge dans .
- Soit une application continue, alors est encore continue.
- Démontrons le premier point, le second se démontrant de façon similaire.
- Soit une suite convergente dans , notons sa limite.
- Comme et sont équivalentes, . Ainsi, , ce qui termine la preuve.
- Remarque
- Cette propriété est particulièrement utile en pratique car pour montrer la continuité d'une application, on peut choisir la norme qui nous arrange le plus parmi toutes les normes équivalentes à celle de départ. En particulier, nous allons voir qu'en dimension finie, toutes les normes sont équivalentes, ce qui nous permettra de travailler avec la norme de notre choix.
- Cette propriété est également valable pour la continuité uniforme ou le fait d'être lipschitzienne, qui sont des notions que nous allons introduire dès maintenant mais que nous n'avons pas intégrées à l'énoncé pour ne pas alourdir outre mesure.
Continuité uniforme
modifierVoyons maintenant une notion plus subtile que la continuité simple : la continuité uniforme. Encore une fois, la définition est similaire à celle donnée pour les fonctions réelles à condition de remplacer les valeurs absolues par la normes.
- Remarque
- On attire le lecteur sur l'inversion des quantificateurs par rapport à la définition de la continuité qui fait la subtilité de cette notion. Ici, le réel est valable pour tout contrairement à la continuité.
- On voit ici que la continuité uniforme est une notion globale, alors que la continuité possède deux facettes : l'une locale et l'autre globale.
- La continuité uniforme n'est pas une notion topologique : il n'existe pas de caractérisation à l'aide d'ouverts ou de voisinages.
La proposition suivante, qui découle immédiatement de la définition, justifie en quelque sorte le vocabulaire utilisé. Il faut retenir que la continuité uniforme est plus forte que la continuité.
Pour terminer, on introduit une nouvelle classe de fonctions que l'on appelle les fonctions lipschitziennes. Nous verrons qu'elles sont un cas particulier de fonctions uniformément continues dont la caractérisation est souvent plus simple.
L'intérêt des fonctions lipschitziennes est que l'on a une idée de comment elle transforme les distances au sein de nos espaces comme nous l'assure la définition. En comparant les définitions, le lecteur devrait être convaincu qu'il est plus facile de démontrer qu'une fonction est lipschitzienne qu'uniformément continue, ce qui va être pratique au vu de la proposition suivante, dont la démonstration sera également laissée en exercice.
Cas particulier des applications linéaires
modifierEn algèbre linéaire, les applications linéaires jouent un rôle fondamental. Il est donc logique de se demander comment elles se comportent vis-à-vis de la norme, c'est-à-dire si elles sont continues ou non. Il se trouve que pour les applications linéaires la continuité et le fait d'être K-lipschitzienne sont équivalentes, ce qui simplifie l'étude. Nous verrons dans un chapitre ultérieur qu'en dimension finie toutes les applications linéaires sont continues, ce qui est faux en dimension infinie. Les différentes propriétés que nous allons voir s'utiliseront constamment en analyse fonctionnelle en particulier.
Soit une application linéaire. Les assertions suivantes sont équivalentes :
- est continue ;
- est continue en ;
- l'image par de toute de toute boule de centre (donc de toute partie bornée) est bornée ;
- l'image par de la boule unité fermée est bornée (autrement dit : ) ;
- ;
- est lipschitzienne ;
- est uniformément continue.
On procède de manière « circulaire » ( ).
Les implications (1⇒2), (3⇒4), (6⇒7) et (7⇒1) sont immédiates. Les implications restantes utilisent la linéarité de et l'homogénéité de la norme :
- (2⇒3) : soit η > 0 tel que ║z║ ≤ η ⇒ ║f(z)║ ≤ 1. Si ║x║ ≤ R, en posant z = (η/R)x on obtient : ║f(x)║ = (R/η)║f(z)║ ≤ R/η.
- (4⇒5) : Soit un majorant de . Pour tout vecteur de , en posant , on a donc , et . L'inégalité est aussi vérifiée pour .
- (5⇒6) : .
D'après cette démonstration, la constante de Lipschitz de est alors égale à (le plus petit vérifiant la propriété 5) ainsi qu'à . On va ainsi pouvoir construire une norme sur l'espace vectoriel des applications linéaires continues comme le montre le théorème suivant.
L'ensemble des applications linéaires continues de dans est un e.v.n. pour la norme :
dite norme subordonnée (aux normes choisies sur et ). On la note aussi parfois , s'il est nécessaire de préciser les espaces de départ et d'arrivée
- Montrons que est un -espace vectoriel. Pour cela, on va montrer qu’il s'agit d'un sous-espace vectoriel de :
- l’application nulle appartient à : elle est continue car constante ;
- soient et . Alors l'application (linéaire) est continue (par linéarité de la limite).
On en conclut bien que est un (sous-)espace vectoriel (de ).
- Montrons maintenant que définit bien une norme sur :
- il est clair que et que (si alors est nulle sur la boule unité de et est donc nulle sur entier par linéarité) ;
- ;
- on procède de même pour l'inégalité triangulaire.
- Remarques
-
- Ne pas confondre (l'espace des applications linéaires) et (le sous-espace des applications linéaires continues).
- Nous avons vu que lors d'un changement de norme par une norme équivalente, l'espace des fonctions continues était inchangé. Cependant, la nouvelle norme subordonnée ainsi obtenue sera alors différente de la première mais malgré tout équivalente.
Voyons maintenant comment cette norme se comporte vis-à-vis de la composition des applications linéaires :
On sait déjà que la composée de deux applications linéaires est linéaire. Il reste donc à démontrer l'inégalité sur les normes (qui prouvera la continuité de ).
Soit . Par définition des normes subordonnées, on a :
- ,
ce qui prouve l'inégalité voulue, par définition de la borne supérieure.