Introduction à la théorie des nombres/Formes quadratiques entières
Définitions et premières propriétés
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- Une forme quadratique (binaire) entière est un polynôme homogène (en deux indéterminées) de degré 2 à coefficients entiers :
- .
- Un entier est dit représenté (resp. proprement représenté) par s'il existe entiers (resp. entiers premiers entre eux) tels que .
- représente proprement , et .
- ne représente pas (exercice).
- Toute représentation d'un entier sans facteur carré — en particulier, d'un nombre premier — est propre, puisque .
- est somme de deux carrés (c'est-à-dire représenté par ) de deux façons, l'une propre et l'autre impropre : .
- La matrice de la forme quadratique n'est à coefficients entiers que si est pair[1].
- Le discriminant est égal à [2].
- Il est congru modulo à , donc à ou , selon la parité de .
- Plus généralement, pour tout entier , un entier est un carré modulo si et seulement s'il est le discriminant de pour certains entiers et .
- La propriété « est un carré » équivaut, si est impair, à : et est un carré , ou et est un carré .
Pour tout entier congru à ou , la « forme principale » de discriminant est définie par :
Par exemple :
- ;
- .
Faites ces exercices : Exercice 5-6. |
Deux formes sont dites équivalentes (resp. proprement équivalentes) si elles se déduisent l'une de l'autre par un changement de variable avec entiers tels que (resp. ).
Soient
- ,
- et
- .
- Deux formes sont dites improprement équivalentes si elles peuvent se déduire l'une de l'autre par un changement de variable de déterminant . Par exemple, est improprement équivalente à (par le changement de variable ) et à (par interversion des variables).
- La classe d'équivalence de est la réunion de la classe d'équivalence propre de et celle de (ou ). Ces deux classes sont soit disjointes (et équipotentes), soit égales. Dans le second cas, dite ambiguë. C'est évidemment le cas si (c'est-à-dire ou ), mais aussi par exemple si , puisqu'alors, . En particulier, toutes les formes principales sont ambiguës.
- Les classes d'équivalence (resp. d'équivalence propre) sont les orbites de l'action du groupe (resp. ) des matrices 2×2 à coefficients entiers de déterminant (resp. ).
- Si deux formes sont équivalentes alors elles ont :
- les mêmes entiers représentés et les mêmes entiers proprement représentés ;
- pour chacun de ces entiers, les mêmes multiplicités (c'est-à-dire le même nombre de couples solutions) ;
- le même discriminant (d'après la formule de changement de base pour une forme bilinéaire).
Une forme représente proprement un entier (si et) seulement si est équivalente à une forme pour certains entiers et , qui peuvent même alors être choisis tels que l'équivalence soit propre.
Le sens « si » résulte de deux remarques ci-dessus mais on va le redémontrer directement en raisonnant par équivalences.
L'écriture générale d'une forme équivalente à q(x, y) = Ax2 + Bxy + Cy2 est A(αx + βy)2 + B(αx + βy)(γx + δy) + C(γx + δy)2 avec α, β, γ, δ entiers tels que αδ – βγ = ±1 (+1 pour une équivalence propre), et le coefficient de son terme en x2 est Aα2 + Bαγ + Cγ2 = q(α, γ). Or (par définition) q représente proprement a si et seulement s'il existe α et γ premiers entre eux tels que q(α, γ) = a, donc (par le théorème de Bézout) si et seulement s'il existe des entiers α, β, γ, δ tels que q(α, γ) = a et αδ – βγ = ±1 (et l'on peut alors les choisir de telle façon que αδ – βγ = 1).
Soient .
- Il existe une forme de discriminant qui représente proprement (si et) seulement si est un carré .
- S'il existe une forme de discriminant qui représente proprement alors, pour tout diviseur de , il existe une forme de discriminant (non nécessairement équivalente) qui représente proprement .
Le premier point résulte de la proposition précédente et de la définition du discriminant.
Le second s'en déduit en remarquant qu'un carré modulo est carré modulo tout diviseur de .
Faites ces exercices : Exercices 5-9 à 5-11. |
L'adverbe « proprement » est indispensable dans la proposition et le corollaire ci-dessus (sauf bien sûr lorsqu'il s'agit des représentations d'un entier sans facteur carré). Par exemple, pour n'importe quel discriminant , tout carré est représentable par une forme de discriminant (non proprement : ) tandis que son diviseur ne l'est pas toujours : penser par exemple au théorème des deux carrés (exercice 5-5) ou plus généralement, pour un discriminant non carré, aux nombres premiers modulo lesquels n'est pas un carré (il y en a une infinité). |
Typologie
modifierLorsqu'on s'intéresse à l'ensemble des entiers représentés par , il est naturel de mettre en facteur .
Faites ces exercices : Exercice 5-2. |
- est le pgcd de tous les entiers représentés par (voir l'exercice lié) donc toute forme quadratique équivalente à une forme primitive est, elle aussi, primitive.
- donc si est sans facteurs carrés, est primitive.
Soient et .
Faites ces exercices : Exercice 5-3. |
- Si et sont premiers entre eux, est primitive. C'est le cas par exemple si est une forme principale (voir supra).
- Plus généralement, s'il existe un entier représenté par et premier avec , alors est primitive (l'exercice lié détaille et complète ce thème).
- est primitive ( ).
On introduit de plus la classification suivante (issue de celle des formes réelles) :
Soient et . La forme est dite :
- dégénérée si ;
- définie si ;
- indéfinie si .
Faites ces exercices : Exercice 5-12. |
- donc lorsque est définie, elle est constamment du signe de (égal à celui de ).
- Une forme est définie négative si et seulement si est définie positive.
- est dite isotrope si est un carré parfait (éventuellement nul), ce qui (cf. exercice lié) équivaut à : est le produit de deux formes linéaires (de dans ). On exclura donc de l'étude ce cas.
- Toute forme primitive non isotrope représente une infinité de nombres premiers[3],[4],[5],[6],[7].
Il reste donc à étudier les formes définies positives et les formes indéfinies non isotropes (en se limitant, si on le souhaite, à celles qui sont primitives).
Pour tout discriminant non carré, le nombre de classes est le nombre de classes d'équivalence propre de formes de discriminant , définies positives si , et indéfinies si . Parmi ces classes, on note le nombre de celles des formes primitives.
La théorie de la réduction, essentiellement due à Gauss[8], va permettre de montrer que le nombre de classes est fini.
Réduction des formes définies positives
modifierOn étudie donc ici le cas et .
Une forme définie positive est dite réduite si et si de plus, dès que est égal à ou à .
Autrement dit : est réduite si ou .
Faites ces exercices : Exercices 5-7 et 5-8. |
- Pour tout discriminant , la forme principale est une forme positive réduite de discriminant .
- C'est la seule si et seulement si (cf. exercice 5-7 et « Nombre de Heegner »).
- Si , la seule autre est non primitive : (cf. exercice 5-8).
- Toute forme définie positive est proprement équivalente à une unique forme réduite.
- Pour tout , le nombre de formes définies positives réduites de discriminant est fini.
- Unicité. (Baker, p. 70-71.) Soit une forme définie positive réduite.
- Remarquons d'abord que si alors donc les plus petites valeurs non nulles prises par sont , en , , et soit , soit .
- Si ou alors sont déterminés par les plus petites valeurs prises par et leurs multiplicités (ces nombres étant les mêmes pour toute forme équivalente). En effet, si par exemple , la première valeur est prise 4 fois puis, connaissant et (égaux à cette valeur), la valeur suivante est donc détermine (car lorsque , la définition d'une forme réduite impose ).
- Si , les deux plus petites valeurs et sont prises chacune 2 fois et la suivante est , ce qui détermine seulement . Il reste donc à montrer que si , les deux formes réduites et ne peuvent être proprement équivalentes que si elles sont égales. Soient tels que et . Par identification des coefficients de et , et donc — d'après la remarque sur les points où les plus petites valeurs sont atteintes — , et le coefficient du terme en donne alors : , ce qui prouve que .
- Existence. Soit une forme définie positive. Soit une forme proprement équivalente à pour laquelle est minimum.
- En composant si nécessaire par , on peut de plus supposer que et aussi, dans le cas , que .
- Exploitons également les compositions par , pour . Dans , le coefficient de est . On en déduit que pour tout entier , en particulier , donc . Ainsi, est réduite, sauf si .
- Mais dans ce cas, est réduite.
- Finitude. Si alors donc . Une fois choisi, le nombre des valeurs possibles pour (compris entre et et de même parité que ) est majoré par . Enfin, est entièrement déterminé par , et .
Faites ces exercices : Exercices 5-4 et 5-5. |
D'après la preuve ci-dessus, l'algorithme suivant[9] fournit la forme réduite proprement équivalente à une forme définie positive donnée :
- tant qu'on n'a pas , remplacer par (donc ) où l'entier est celui pour lequel puis, si , remplacer par ;
- quand enfin , remplacer une dernière fois si nécessaire (c'est-à-dire si et ) par .
Réduction des formes indéfinies anisotropes
modifierDans le cas des formes indéfinies anisotropes ( non carré), on pourrait choisir les mêmes définition et algorithme que pour en remplaçant par leurs valeurs absolues, mais on perdrait l'unicité.
Cependant, avec le même genre de définition et d'algorithme que pour la fraction continue (périodique) d'un irrationnel quadratique, Gauss obtient « presque » l'unicité :
Une forme indéfinie anisotrope de discriminant est dite réduite si .
- donc :
- si est une forme quadratique (indéfinie anisotrope) réduite, alors est réduite ;
- est réduite si et seulement si les deux racines et du polynôme vérifient : et .
- Contrairement au cas défini positif, les formes indéfinies anisotropes principales ne sont pas réduites, sauf .
Faites ces exercices : Exercice 5-13. |
Les seules formes quadratiques réduites de discriminant (cf. exercice) sont, à interversion près de et : et .
- Pour tout entier positif non carré, il n'existe qu'un nombre fini de formes réduites de discriminant .
- Toute forme indéfinie anisotrope est proprement équivalente à au moins une forme réduite.
- Les formes indéfinies anisotropes réduites de chaque classe d'équivalence propre s'organisent en un unique cycle de « formes adjacentes », la forme adjacente à droite d'une forme réduite étant la forme , pour l'unique entier tel que cette forme soit réduite.
- Finitude. , est de même parité que , , et est alors déterminé.
- Existence. Soit une forme indéfinie anisotrope de discriminant . Posons et considérons l'algorithme qui nous a permis de démontrer le théorème de Lagrange. Il donnait, à partir du développement en fraction continue , une suite de polynômes tels que , où désignait le -ième quotient complet de . À partir d'un certain rang, est réduit, c'est-à-dire et . Or les polynômes du second degré correspondent bijectivement aux formes quadratiques : pour . De plus, par construction, la racine de est égale à pour pair (et au conjugué pour impair), et l'étape de récurrence, , équivalente à , est une équivalence impropre. Pour pair suffisamment grand, la forme quadratique est donc proprement équivalente à et réduite.
- Presque unicité. Admis. Voir Dickson, p. 102-103 et 108-111.
Notes et références
modifier- ↑ Gauss se restreignait à ce cas ; l'hypothèse pair complique sa théorie de la composition mais est nécessaire par exemple dans le théorème des 15. La condition entiers (avec non nécessairement pair) est cependant naturelle car elle équivaut à (voir l'exercice lié).
Faites ces exercices : Exercice 5-1.
- ↑ Tandis que pour une forme quadratique binaire à coefficients dans un corps, le discriminant est par définition modulo les carrés d'éléments non nuls.
- ↑ J. P. G. Lejeune Dirichlet, « Recherches sur diverses applications de l'Analyse infinitésimale à la théorie des Nombres », J. reine angew. Math., vol. 19, 1839, p. 324-369 [texte intégral].
- ↑ J. P. G. Lejeune Dirichlet, « Über eine Eigenschaft der quadratischen Formen », Ber. Preuss. Akad. Wiss., 1840, p. 49-52 [texte intégral].
- ↑ Heinrich Weber, « Beweis des Satzes, dass jede eigentlich primitive quadratische Form unendlich viele Primzahlen darzustellen fähig ist », Math. Ann., vol. 20, 1882, p. 301-329 [texte intégral].
- ↑ W. E. Briggs, « An elementary proof of a theorem about the representation of primes by quadratic forms », Canad. J. Math., vol. 6, 1954, p. 353-363 [lien DOI]
- ↑ Harmut Ehlich, « Ein elementarer Beweis des Primzahlsatzes für binäre quadratische Formen », J. reine angew. Math., vol. 201, 1959, p. 1-36 [texte intégral].
- ↑ J. Oesterlé, « La classification de Gauss des formes binaires quadratiques », L'Enseignement mathématique, vol. 34, 1988, p. 44-52.
- ↑ Henri Cohen, A Course in Computational Algebraic Number Theory, coll. « GTM » (no 138), 1993 [lire en ligne], p. 243.
Liens externes
modifier« Finding the class number h(d) of binary quadratic forms of negative discriminant d », sur numbertheory.org