Calcul différentiel/Équations différentielles
Généralités
modifierSoit E un espace vectoriel normé. Une équation différentielle (E.D.) d'ordre n à valeurs dans E sous « forme implicite » est une équation de la forme
où l'inconnue est une fonction (de la variable réelle) à valeurs dans E et la donnée F est une fonction continue sur un ouvert de ℝ × En+1.
En restreignant cet ouvert, on met l'équation sous « forme résolue » :
Elle est dite linéaire si de plus, est de la forme où, pour tout , l'application (continue) est linéaire.
Par ailleurs, on peut transformer une E.D. d'ordre n sous forme implicite (resp. résolue, resp. linéaire) à valeurs dans E en une E.D. d'ordre 1 sous forme implicite (resp. résolue, resp. linéaire) à valeurs dans En, en posant .
Soient un espace vectoriel normé, une partie de , une fonction et . On appelle solution du problème de Cauchy
- et
toute application , définie sur un intervalle contenant , à valeurs dans , dérivable, et telle que :
- ;
- .
Une telle solution est dite maximale si elle ne se prolonge pas en une solution définie sur un intervalle contenant strictement .
Soient un espace de Banach, un ouvert de , une fonction localement lipschitzienne par rapport à sa seconde variable et continue, et . Alors, il existe une solution du problème de Cauchy associé, dont l'intervalle de définition est un voisinage de , et dont toute solution sur un sous-intervalle est une restriction.
Pour simplifier les notations, supposons et (on se ramène facilement à ce cas par translations).
Soient des réels tels que sur , est définie, de norme et -lipschitzienne par rapport à sa seconde variable puis, soit un réel strictement compris entre et .
Notons l'espace des fonctions continues de dans la boule fermée et pour toute application , définissons par :
- .
Par construction, et la fonctionnelle est contractante car -lipschitzienne ( étant, naturellement, muni de la norme de la convergence uniforme, pour laquelle il est complet).
D'après le théorème de Picard-Banach, admet donc un point fixe , qui est ipso facto solution du problème de Cauchy sur .
Toute solution sur un sous-intervalle contenant , disons par exemple sur avec , est une restriction de , par unicité du point fixe pour la fonctionnelle définie de la même façon que sur l'espace des fonctions continues de dans . En effet, une solution sur ne peut pas sortir de car sinon, en notant le plus grand sous-intervalle contenant sur lequel reste dans , on trouverait
donc , ce qui est contraire à l'hypothèse .
- Remarque
- L'application étant supposée localement lipschitzienne par rapport à sa seconde variable, il suffit, pour qu'elle soit continue, qu'elle le soit par rapport à sa première variable : c'est un exercice de topologie générale.
Solution maximale
modifierSous les mêmes hypothèses que ci-dessus, la solution maximale du problème de Cauchy est unique ; autrement dit : toutes les solutions sont des restrictions d'une même solution maximale. De plus, son intervalle de définition est ouvert.
Commençons par un lemme :
- Soient s1 et s2 deux solutions du problème de Cauchy. Sur l'intersection des deux intervalles de définition, s1 et s2 coïncident :
Supposons (à nouveau et sans perte de généralité) que t0 = 0 et notons I l'intersection des deux intervalles. Soit b la borne supérieure de l'ensemble des éléments positifs a de I pour lesquels s1 et s2 coïncident sur [0, a] (il en existe au moins un : a = 0). Si b appartient à I alors, par continuité, s1 et s2 coïncident sur [0, b] et, par unicité locale à droite, b est nécessairement le plus grand élément de I ; si b n'appartient pas à I, il en est la borne supérieure. Dans les deux cas, s1 et s2 coïncident sur l'ensemble des éléments positifs de I. On procède de même pour les éléments négatifs. - Toutes les solutions de ce problème de Cauchy sont restrictions d'une même solution :
Soient J l'intervalle réunion de tous les intervalles de définition de solutions de ce problème et s l'application définie sur J par : s(t) = la valeur au point t de n'importe laquelle des solutions définies en t (toutes ces valeurs coïncident d'après le lemme). Par construction, s est le prolongement commun annoncé. - L'intervalle de définition de la solution maximale est ouvert :
Par contraposée, montrons que si l'intervalle de définition I d'une solution s n'est pas ouvert alors s n'est pas la solution maximale. Supposons par exemple que I possède un plus grand élément t1 (on procèderait de même si I possède un plus petit élément). L'existence locale montre qu'il existe une solution de l'équation différentielle, définie sur un intervalle ouvert centré en t1 et coïncidant avec s au point t1. Il est donc possible de prolonger s en une solution définie à droite de t1, si bien que s n'est pas la solution maximale.
Théorème de Cauchy-Lipschitz global
modifierOn suppose ici que l'ouvert est de la forme , où est un intervalle ouvert de . Toute solution globale (c'est-à-dire définie sur tout entier) de est évidemment maximale, mais la réciproque est fausse en général, comme le montre l'exemple de l'équation . Divers théorèmes « d'échappement » ou « d'explosion », parfois joints au lemme de Grönwall, donnent des conditions suffisantes pour une telle réciproque, mais l'énoncé suivant, qui nous suffira par exemple dans la théorie des équations différentielles linéaires, se démontre directement :
Soient un intervalle ouvert de , un espace de Banach, une fonction continue qui, localement par rapport à sa première variable mais globalement par rapport à la seconde, est lipschitzienne par rapport à la seconde.
Pour tout , la solution maximale du problème de Cauchy associé est globale, c'est-à-dire définie sur tout entier.
On reprend la preuve du théorème de Cauchy-Lipschitz, en prenant cette fois pour F l'espace des applications continues sur un segment arbitraire [t0 – T–, t0 + T+] de I, à valeurs dans E. Si, pour tout t de ce segment, f(t, ∙) est K-lipschitzienne alors, en notant Φ la fonctionnelle définie sur F par la même formule que précédemment, on vérifie sans peine que sa p-ième itérée Φp est Kp-lipschitzienne pour Kp := Kpmax(T–, T+)p/p!. La série correspondante étant convergente, on a Kp < 1 pour p assez grand. Le théorème de point fixe pour une application dont une itérée est contractante s'applique alors et fournit un point fixe pour Φ. La solution maximale du problème de Cauchy étant par conséquent définie sur tout segment de I, elle est globale.
Dépendance des conditions initiales
modifierDans toute cette section, on reprend les hypothèses plus générales des sections « Théorème de Cauchy-Lipschitz local » et « Solution maximale » :
- est un espace de Banach, un ouvert de et une fonction continue et (au moins) localement lipschitzienne par rapport à sa seconde variable.
L'ensemble des triplets tels que la solution maximale du problème de Cauchy de conditions initiales soit définie au point est un ouvert de , et le flot est localement lipschitzien sur cet ouvert.
- Remarque
- Par rapport à sa première variable, le flot est de classe Cp+1 dès que est de classe Cp.
Affinons la démonstration du théorème de Cauchy-Lipschitz local (voir supra), en supposant à nouveau, pour alléger les notations mais sans perte de généralité, .
Soient des réels tels que, en notant B la boule fermée , est définie sur , de norme et -lipschitzienne par rapport à sa seconde variable puis, soit un réel strictement compris entre et .
Notons l'espace des fonctions continues de dans 2B, (m + 1)-lipschitziennes par rapport à la troisième variable et telles que l'image de tout triplet de la forme (t, t, x) soit égale à x. Cet espace est complet pour la norme uniforme car, 2B étant complet, l'espace des fonctions continues de dans 2B l'est aussi, or G est fermé dans cet espace, pour la topologie de la convergence uniforme et même pour celle de la convergence simple, comme intersection des fermés suivants :
- pour tout , l'ensemble des fonctions u telles que u(t, t, x) = x
- pour tout et toute paire {x, y} de points de B, l'ensemble des fonctions u telles que ║u(s, t, x) – u(s, t, y)║ ≤ (m + 1)║x – y║.
Pour toute application , définissons par :
Alors, car :
- est continue, par continuité de et (par rapport à sa première variable, elle est même m-lipschitzienne) ;
- ;
- ;
- est (m + 1)-lipschitzienne par rapport à sa troisième variable :
La fonction ainsi définie est contractante, car
- et .
D'après le théorème de Picard-Banach, admet donc un point fixe , qui est ipso facto une restriction de à . Comme est égale à , elle est lipschitzienne par rapport à ses première et troisième variables. Elle est également lipschitzienne par rapport à la seconde lorsqu'on la restreint à car pour et , on a , ce qui permet d'écrire :
- Remarque sur les équations à paramètre
- (Cette remarque sera utile pour le théorème de régularité locale ci-dessous)
- Si est un espace topologique, un ouvert de et une application continue et localement lipschitzienne par rapport à sa dernière variable, on démontre exactement de la même façon que pour tout , le flot correspondant est défini et continu au voisinage de .
Inspiré de Serge Lang, Real and Functional Analysis, coll. « Graduate Texts in Mathematics » (no 142), 1993, 3e éd., 580 p. [lire en ligne], p. 377-378, qui ne traite cependant que le cas d'une équation différentielle autonome, et avec une fonction au moins de classe C1.
Soient :
- un élément de cet ensemble, avec par exemple ;
- l'intervalle de définition de la solution maximale ;
- l'ensemble des réels pour lesquels est défini et lipschitzien au voisinage de : c'est un intervalle qui, d'après le lemme, contient .
Notons et démontrons par l'absurde que (ce qui prouvera que et conclura).
Supposons que , et notons alors .
À nouveau d'après le lemme, est défini et lipschitzien sur , pour un certain intervalle ouvert et un certain ouvert . Choisissons tel que .
Puisque , le flot est défini et lipschitzien sur , pour un certain intervalle ouvert et un certain voisinage de .
Pour , voisinage suffisamment petit de , le vecteur est suffisamment proche de pour appartenir à . Le flot composé est alors défini et lipschitzien sur . Il coïncide avec sur , par unicité, sur l'intervalle , de toute solution d'un problème de Cauchy associé à .
Par recollement, est donc en fait défini et lipschitzien sur , voisinage de pour des , ce qui contredit la définition de et termine ainsi la preuve par l'absurde.
Lorsque est un peu plus régulière, on obtient pour le flot un théorème de régularité locale puis, un corollaire global s'en déduit exactement de la même façon que le théorème de continuité ci-dessus se déduisait du lemme. Plus précisément :
Si est de classe Cp et admet, par rapport à sa seconde variable, une fonction différentielle de classe Cp sur alors, pour tout , le flot est de classe Cp+1 au voisinage de .
Références :
- Pour le point 1, sous l'hypothèse plus forte que est de classe C1 : Joel W. Robbin, « On the existence theorem for differential equations », Proc. Amer. Math. Soc., vol. 19, 1968 [texte intégral]. Voir aussi Jacques Lafontaine, Introduction aux variétés différentielles, EDP Sciences, 2010 [lire en ligne], p. 44-45, qui s'en inspire. Mais surtout pas Lang, qui déforme l'idée de Robbin, ce qui l'oblige à un long funambulisme.
- Pour le point 3 : Frédéric Paulin, « Topologie, analyse et calcul différentiel », École Normale Supérieure, , p. 270.
- Montrons d'abord que si est continue alors est de classe C1 au voisinage de .
- Supposons, pour alléger les notations mais sans perte de généralité, à nouveau que et de plus (par homothéties sur les deux variables) que est définie au moins de dans B et que , où désigne cette fois la boule ouverte de .
Fixons et notons l'intervalle réel , l'espace de Banach des fonctions telles que (muni de la norme , où est la norme de la convergence uniforme) et l'ouvert de celles à valeurs dans . - L'application est un isomorphisme isométrique.
Considérons les applications définies par et . On a si et seulement si la fonction est une solution sur du problème de Cauchy , et l'on cherche à appliquer le théorème des fonctions implicites au voisinage de . - est de classe C1 (cf. exercices sur la différentiabilité) et donc, en notant : , si bien que . Par conséquent, pour , est un isomorphisme (cf. cet exercice du chapitre « Différentiabilité »).
Le théorème des fonctions implicites fournit alors un voisinage U×V de dans et une fonction de classe C1, tels que :.Par conséquent :.L'application d'évaluation étant de classe C1 (c'est un exercice sur la différentiabilité), β est bien de classe C1.
- Supposons, pour alléger les notations mais sans perte de généralité, à nouveau que et de plus (par homothéties sur les deux variables) que est définie au moins de dans B et que , où désigne cette fois la boule ouverte de .
- Explicitons les deux différentielles partielles de , afin de montrer qu'elles sont continues non seulement par rapport à mais par rapport à .
- Pour la première, c'est immédiat : .
- Pour calculer la seconde, dérivons l'intégrale par rapport au paramètre dans l'égalité .
On obtient ainsi
puis, comme le membre de droite est dérivable par rapport à : ,
ce qui prouve que la fonction est la solution qui vaut en de l'équation différentielle (linéaire et à paramètres )
- On a donc à présent : et sont définies et continues (au voisinage de ). Pour montrer que l'est également, remarquons que pour avec suffisamment proche de , on a et est inversible. D'après le théorème des fonctions implicites (avec et fixés), existe donc et est égal à , qui est bien une fonction continue de .
Le théorème est donc démontré dans le cas . Le cas général s'en déduit facilement par récurrence sur , en réutilisant les expressions ci-dessus des trois différentielles partielles de .
Équations différentielles linéaires
modifierD'après ce qui précède, on peut se contenter d'étudier les E.D. linéaires d'ordre 1, et l'on a :
Soient un intervalle ouvert de , un espace de Banach, et deux applications continues et .
- Pour tout , la solution maximale du problème de Cauchy est globale.
- Si désigne l'ensemble des solutions (sur ) de l'équation , l'application est bijective.
L'ensemble de ses solutions est donc .
Sous les mêmes hypothèses, on peut alors énoncer :
- Pour tout réel , on a : .
- Pour toutes applications continues , on a : .
En particulier :
- est un espace affine, dont la direction est l'espace vectoriel (isomorphe à ).
Pour chaque réel , on a un isomorphisme , et donc un isomorphisme réciproque. Par composition, on peut donc définir une application à valeurs dans le groupe des éléments bijectifs de :
La résolvante de l'équation est l'application définie par : est la valeur à l'instant de la solution du problème de Cauchy .
La seule propriété non immédiate (la dernière) résulte du calcul suivant, qui utilise la différentielle de l'application (définie sur ) :
.
En particulier, est la solution du problème de Cauchy (à valeurs dans ) .