Calcul différentiel/Théorèmes utiles
Dans ce chapitre, nous rappelons quelques théorèmes importants qui serviront l'étude ultérieure des recherches d'extrema et des équations aux dérivées partielles.
Définitions
modifierUn ouvert d'un espace vectoriel normé E est une partie U de E telle que pour tout point x de U, U contient une boule ouverte de centre x et de rayon strictement positif.
L'espace usuel est un espace de Banach.
Entre espaces de dimension finie, toute application linéaire est continue. Entre espaces de Banach, d'après le théorème de Banach-Schauder, la réciproque d'une bijection linéaire continue est toujours continue.
Soient E et F deux espaces vectoriels normés, V un ouvert de E et W un ouvert de F. Un Ck-difféomorphisme de V dans W est une bijection de classe Ck de V dans W dont la réciproque est aussi de classe Ck.
Théorème d'inversion locale
modifierSoient E et F deux espaces de Banach, U un ouvert de E, une fonction de classe Ck (k ≥ 1), et tel que :
- l'application est bijective.
Alors, se restreint en un Ck-difféomorphisme d'un ouvert contenant (et inclus dans U) dans un ouvert (de F).
Par translations, on se ramène[1] au cas où et . On suppose donc que et est bijective. Ensuite, par composition par cet isomorphisme, on se ramène[1] au cas où et où la différentielle de au point (noté désormais ) n'est autre que l'application identité de .
Soit . Puisque et que l'application est continue, il existe un réel tel que la boule fermée soit incluse dans et tel que pour tout vecteur de cette boule, .
Définissons les ouverts et . Nous allons prouver que se restreint en un Ck-difféomorphisme de dans .
- Montrons d'abord que est surjective. Soit . Considérons la fonction
- L'injectivité de sur s'obtient en utilisant à nouveau que est 1/2-lipschitzienne. Pour tous , si l'on note et leurs images par , on a :,ce qui se réécrit et permet de conclure.
On a donc prouvé que était bijective de dans . On notera dans la suite la bijection réciproque.
- Montrons que est différentiable.
- Remarquons d'abord que pour tout , l'application linéaire est bijective. En effet, , donc la série est convergente et sa somme (de norme ) est inverse de .
- Soient et , démontrons qu'au point , est différentiable et sa différentielle n'est autre que l'inverse de . Pour tout vecteur tel que , notons l'antécédent dans de par . De,la dernière égalité venant du fait (démontré plus haut dans la preuve d'injectivité) que .
- Montrons que est même de classe Ck. On vient de prouver l'existence de en montrant qu'elle était la composée de trois fonctions : la fonction , l'application , et la « fonction inverse » qui à tout élément inversible de l'algèbre des endomorphismes continus de associe son inverse. La « fonction inverse » est infiniment différentiable, est de classe Ck et est continue (car différentiable) ; on en déduit que est de classe C1. De proche en proche, on vérifie[1] que est de classe Ck.
- Référence
- ↑ 1,0 1,1 et 1,2 François Laudenbach, Calcul différentiel et intégral, éd. École Polytechnique, 2000 (ISBN 978-2-73020724-9) [lire en ligne], p. 61-62.
Soient E et F deux espaces de Banach, U un ouvert de E, une fonction de classe Ck (k ≥ 1) telle que pour tout , l'application est bijective. Alors :
- est ouverte, en particulier est un ouvert de F ;
- si de plus est injective alors est un Ck-difféomorphisme de sur .
Théorème des fonctions implicites
modifierÉnoncé
modifierSoient E, F et G trois espaces de Banach, U un ouvert de E × F, une fonction de classe Ck (k ≥ 1), et tel que :
- ;
- l'application est bijective.
Alors, il existe un ouvert contenant et une application de classe Ck, tels que :
- ;
Référence : Jean-Pierre Demailly, Analyse numérique et équations différentielles, EDP Sciences, 2006, 3e éd. (1re éd. 1991) (ISBN 9782759801121) [lire en ligne], p. 115-116.
L'application est de classe Ck, et sa différentielle au point est bijective car
D'après le théorème d'inversion locale, se restreint donc en un Ck-difféomorphisme, d'un ouvert contenant (et inclus dans U) sur un ouvert (de E × G, contenant ). On peut de plus, en rétrécissant ces deux ouverts, faire en sorte que l'ouvert soit un produit : , , .
Le difféomorphisme réciproque est alors de la forme pour une certaine fonction , de classe Ck.
Posons . Cet ouvert contient et pour tout , est, par construction, l'unique vecteur tel que .
Montrer qu'au voisinage de (0, 0), la relation définit implicitement y en fonction de x.
La fonction est polynomiale, de classe , donc au moins de classe et la dérivée partielle de ƒ au point étudié vaut :
et n'est donc pas nulle. Ainsi, d’après le théorème des fonctions implicites, il existe une fonction φ telle que :
au voisinage de l'origine.
Remarques
modifier- L'intérêt de ce théorème est qu'on dispose de nombreux outils pour étudier les nappes paramétrées (en dimension 3), notamment ceux permettant la recherche d'extrema, sujet abordé au chapitre suivant.
- En différentiant l'équation , on obtient :
- ,
- Si , en différentiant deux fois , on obtient :
- ,
- expression dans laquelle on peut remplacer à l'aide de l'équation précédente. En continuant (jusqu'à l'ordre ), on peut ainsi exprimer les différentielles successives de en fonction de celles de .
- Sur toute partie connexe C de V contenant , est alors la seule application continue vérifiant
- .
(C'est un exercice sur la connexité.)
- .
Inégalité des accroissements finis
modifierSoient un segment réel, une application continue sur et dérivable sur , et un réel tel que
Alors :
- Remarque
Contrairement au cas des fonctions à valeurs réelles, il n'y a pas ici d'égalité des accroissements finis. |
Énoncé
modifierSoient et deux espaces vectoriels normés.
Théorème — Si une fonction est deux fois différentiable en un point , alors l'application bilinéaire est symétrique.
Corollaire — Si une fonction est deux fois différentiable en un point , alors sa matrice hessienne en ce point est symétrique :
Le corollaire correspond au cas particulier . Démontrons le cas général. On peut supposer pour alléger les notations. On pose ensuite
- .
En tout assez petit, est dérivable par rapport à sa seconde variable et
or (par définition de , et avec la notation o de Landau)
- ,
donc
- .
L'inégalité des accroissements finis permet d'en déduire :
- ,
autrement dit :
- .
En utilisant que est symétrique, on obtient ainsi :
- ,
ce qui prouve que l'application bilinéaire
est nulle.
Remarques
modifierLa version plus souvent énoncée dans les ouvrages suppose définie seulement au voisinage du point , mais elle résulte du théorème ci-dessus, en étendant de façon arbitraire une telle fonction à l'espace entier.
En mathématiques, l’intérêt de ce théorème est multiple. D'une part, à l'affirmative, il permet de réaliser les calculs de dérivée partielle, donc simplifie l'étude des équations aux dérivées partielles. D'autre part, sa contraposée permet par l'absurde de montrer que certaines fonctions ne sont pas deux fois différentiables, comme dans l'exemple ci-dessous.
En physique et en chimie, les hypothèses de ce théorème sont souvent vérifiées et son utilisation est presque systématiquement implicite. On montre ainsi des égalités en thermodynamique classique, des formules fondamentales d'analyse vectorielle, ou dans l'étude des ondes (par exemple dans l'équation des télégraphistes).
Contre-exemple
modifierLe contre-exemple suivant, proposé par Peano en 1884, montre qu'une fonction peut, en un point, posséder une matrice hessienne non symétrique (donc ne pas être deux fois différentiable, d'après le théorème de Schwarz).
Il s'agit de la fonction :
Ses dérivées partielles premières sont :
et
de sorte que
Développement limité
modifierSi est fois différentiable en un point , alors elle admet en ce point un développement limité à l'ordre , donné par
avec la notation o de Landau, et en notant le -uplet .
Exemple : formule de Taylor-Young à l’ordre 2
Si est deux fois dérivable au point , alors
- ,
ce qui, si , s'écrit :
- .
La formule de Taylor-Young vectorielle ci-dessus se démontre de la même façon que son homologue réelle, à l'aide du lemme suivant :
Si a un développement limité à l'ordre en :
où chaque application multilinéaire continue est symétrique, alors a un développement limité à l'ordre en :
- .
Procédant comme dans le cas réel, définissons la fonction (nulle en ) par :
Par hypothèse,
et il s'agit d'en déduire que
Dans le cas réel, cette déduction était immédiate grâce à la règle de L'Hôpital, qui repose sur le théorème des accroissements finis généralisé, donc sur le théorème de Rolle. Pour les fonctions à valeurs dans un espace vectoriel normé, on ne dispose plus de ces théorèmes. On utilise alors l'inégalité des accroissements finis ci-dessus :
Soit . Par hypothèse, il existe tel que
D'après le corollaire de l'inégalité des accroissements finis, on a donc bien
La formule se démontre par récurrence.
Pour , c'est la définition de la continuité de en et pour , c'est la définition de .
Soient et différentiable fois en , ce qui sous-entend que les différentielles précédentes, en particulier , sont définies au voisinage de . Supposons vraie la formule à l'ordre et appliquons-la à :
Le lemme s'applique alors (l'hypothèse de symétrie étant satisfaite d'après le théorème de Schwarz ci-dessus) et donne :
ce qui prouve la formule à l'ordre .
Théorème de différentiation terme à terme
modifierÉnoncé
modifierSoient U un ouvert connexe d'un espace vectoriel normé E et une suite d'applications différentiables de U dans un espace de Banach F, telle que :
- il existe un élément de U tel que converge dans F ;
- pour tout , il existe tel que la suite des différentielles converge uniformément sur vers une fonction .
Alors :
- la suite converge vers une fonction , uniformément sur chacune des boules ;
- cette fonction est différentiable et .
(Si les sont continues, le sera donc également.)
Nous utiliserons deux fois la conséquence suivante de l'inégalité des accroissements finis : si et appartiennent à une même boule alors
- .
Soit une boule sur laquelle uniformément, et contenant un point tel que la suite converge. Notons le diamètre de cette boule. D'après , on a :
- .
Par conséquent, sur , la suite de fonctions est uniformément de Cauchy donc (puisque F est complet) uniformément convergente, vers une certaine fonction .
Cela prouve que dans U, l'ensemble V des points tels que la suite converge est à la fois ouvert et fermé (car si V contient un point d'une boule alors il contient toute cette boule). Comme V est non vide, il est égal au connexe U tout entier.
Il reste à démontrer que est différentiable en tout point et . Soit . Fixons un entier tel que
- .
Pour tout , en faisant dans , on obtient :
- ,
si bien que
- .
D'autre part, par définition de , il existe tel que pour tout ,
- .
On en déduit que pour tout tel que ,
- ,
ce qui conclut.
Inspiré de Peter Haïssinsky, « L3 maths, Calcul différentiel et optimisation, chap. 2, p. 10-11 (théorème 4.8) », Université d'Aix-Marseille, et Gilles Dubois, « Convergence d'une suite de fonctions différentiables ».
Remarques
modifierCe théorème généralise le théorème de dérivation terme à terme valable pour les suites de fonctions d'une variable réelle ou, plus généralement, le théorème de dérivation d'une intégrale paramétrique. Il intervient notamment dans le cas de fonctions « limites », qu'on ne sait pas exprimer autrement que comme limite d'une suite, ou dans le cadre des séries de fonctions.